Chapitre 3

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Toute la journée s'est écoulée sans réel accroc, à part cette désagréable sensation qui ne quitte pas Oriane. Celle d'avoir perdu quelque chose, et d'être en train d'en perdre une autre : la raison. La jeune femme a beau se persuader que ce n'est qu'une crise de passage parmi d'autres, la désagréable conviction demeure...

Pourquoi diable toujours mentir, aux autres et à soi-même ?

Elle entre en soupirant dans son appartement. Une fois ses affaires déposées sur une chaise, elle s'apprête à fermer la porte, mais Witahé surgit à ce moment dans le salon pour la rejoindre aussitôt.

« Ça va ? lance-t-il avec un sourire maladroit qui ne parvient à cacher l'inquiétude au fond de ses yeux – toujours la même lueur.

Oriane aimerait chasser cette lueur et lui prouver qu'elle peut marcher sans cette éternelle béquille qu'est sa protection – en un mot : être forte. Hélas, la douleur et la fatigue grandissantes lui interdisent un tel luxe, alors elle se contente de hausser les épaules, geste tout aussi confus que ce qu'elle ressent en elle.

Au moins, avec lui, elle n'a pas besoin de mentir : même si elle essayait, il devinerait vite la vérité. Face à face, les deux amants sont de bien piètres menteurs, lisant l'un dans l'autre comme dans un livre ouvert.

Voilà pourquoi, quand Witahé déclare ces mots après avoir grimacé et raclé sa gorge, la jeune femme devine qu'il n'est lui-même pas convaincu par ses paroles :

— Ce n'est qu'un mauvais moment, Oriane, ça finira par passer... Ça ira mieux et tout rentrera dans l'ordre.

Là-dessus, comme pour éviter que son interlocutrice ne remarque son sourire faux – trop tard –, il se dirige vers la fenêtre. Au-delà de la vitre, la nuit s'abat peu à peu sur Laffiera, et de gros nuages sombres commencent à cerner les lotissements de Gênnille. On dirait qu'une violente averse s'annonce...

— Et si c'était la bataille de trop, cette fois ? Et si... j'allais y rester ?

Ces mots sont sortis subitement de la bouche d'Oriane, jaillissant sur ses lèvres sans même passer par son cerveau. Surpris, Witahé fait volte-face, en quête d'explications devant une si sinistre déclaration.

— Qu'est-ce que tu racontes ? souffle-t-il.

Le rouge monte aux joues de sa compagne. Elle qui voulait paraître forte, la voilà qui évoque maintenant à demi-mot ses pensées les plus morbides ! Elles étaient déjà venues à chuchoter à son oreille sur le pont, la nuit précédente... Mais elle ne les avait pas écoutées. Elle avait dit qu'elle ne sauterait pas. Elle n'allait quand même pas se mettre à le regretter, bon sang ?

Tout ça pour quoi, en plus ? Inquiéter encore plus celui qui fait de son mieux pour l'aider ?

Une part d'elle lui hurle de s'arrêter là, de baisser la tête, de s'excuser et d'oublier toute cette histoire. Sauf qu'elle continue – le mal est déjà fait, de toute façon :

— Je te l'ai déjà dit, le... Le cauchemar d'hier était vraiment... réel. J'y ai repensé toute la journée, en fait... Même Alix a remarqué quelque chose, elle s'inquiète...

— Oh, si même mademoiselle Gardin s'y met, bien sûr, ça devient grave !

Malgré son ton moqueur, c'est maintenant de la méfiance qui anime son regard, comme une mer soudain houleuse.

— Tu ne veux pas la laisser tranquille, pour une fois ? rétorque Oriane. Elle fait comme toi, au fond, elle essaye juste de m'aider...

Witahé se rapproche d'elle d'un pas pressé, cherchant son regard et son approbation :

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