Chapitre 8

137 19 94
                                    

Le père d'Oriane était de taille moyenne, le visage plein de bonté, la physionomie rondouillarde. Il portait une petite barbichette qui lui donnait l'air d'un bouc. C'était un joyeux personnage, toujours là pour ses amis et la fête, un homme simple qui savait profiter de la vie tant qu'elle était là.

Quel dommage qu'il soit tombé amoureux de la mauvaise femme.

Au début, elle se révélait parfaite en tous points : drôle, sympathique, dynamique, intelligente... Leur mariage avait été merveilleux. Ni l'un ni l'autre ne roulait sur l'or, mais cela importait peu : leur couple vivait heureux, et rien d'autre ne comptait. 

Puis, sans que son époux ne le remarque, Dorothée Pessadya a commencé à s'enfoncer dans une profonde tristesse. Ses manuscrits essuyaient les refus des éditeurs, sa soeur aînée la méprisait, et elle venait de perdre son emploi.

Son mari pensait que ce n'était qu'une fatigue passagère, il la croyait quand elle disait qu'elle allait bien.

Ah ! Malheur aux naïfs, qui plus est quand ils aiment une femme ! Ce sont toujours eux qui souffrent le plus lorsque vient le dénouement.

Et ce dénouement, justement, survint lors d'une fête. Les Pessadya ne connaissaient pas grand-monde, la plupart des invités étant des amis d'amis, autant dire des inconnus. Dorothée ne se sentait pas très bien, alors, finalement, elle faussa compagnie à son époux pour sortir un peu dans la rue, histoire de prendre l'air. Son pas était déjà lent comme celui d'un animal qu'on mène à l'abattoir. Avait-elle eu donc le pressentiment du danger qui venait ?

Toujours est-il que dix minutes plus tard elle avait disparu, et que ce n'est au bout d'une heure qu'on la retrouva enfin à terre, en sang, en larmes. Violée.

La suite ne fut plus que chaos : la larme toujours au coin de l'oeil, les remords toujours au bout des lèvres, le désespoir toujours au fond du coeur, Dorothée n'avait de cesse de se disputer avec celui à qui elle avait pourtant promis amour éternel.

Jusqu'à ce qu'un rayon de soleil parvienne à se frayer éphémèrement un chemin dans le ciel d'orage : une trêve qui s'appelait Oriane, qui à sa naissance fit renaître le sourire sur les lèvres de sa mère. Après tant de haine, celle-ci était devenue débordante d'un amour passionnel, pour ne pas dire obsessionnel. Elle la chérissait, ne cessait de lui offrir baisers émus et câlineries, la couvrait d'autant de jouets qu'elle pouvait se permettre d'acheter.

Bien qu'un brin effrayé du comportement ardent de cette femme, l'époux fut aussi attendri que soulagé à la naissance de l'enfant. En effet, ses traits l'affirmaient haut et fort : cette fille était bien la sienne, et non le fruit d'un viol.

Hélas, cet épisode prit fin comme toute chose, et la mère finit par rechuter, plus bas encore cette fois. Alcool. Violence. Froideur. L'enfant qu'elle avait adoré devint sa honte. L'homme qu'elle avait épousé devint sa victime.

Ainsi ce dernier souffrait et recevait les coups comme un punching-ball, sans jamais riposter par peur des représailles : car elle le hantait, le détruisait de l'intérieur, le frappait non seulement au visage, mais aussi à l'âme. 

Et puis, au fond de lui, sans oser l'avouer, il l'aimait encore. Il n'a jamais cessé de le faire...

***

« Laissez-moi tranquille ! »

Oriane reprend contact avec la réalité, le souffle court. Elle a peur. Peur de les revoir...

Non tu ne les reverras pas. Tu te souviens ? Ils sont morts. Morts.

Oui, morts. Dorothée s'est suicidée peu après les dix-huit ans de sa fille. Quant à son mari, au vu des traumatismes subis durant ses vingt ans de mariage, il n'en est pas sorti indemne. Lui aussi n'est plus que poussières.

Mauvais RêvesWhere stories live. Discover now