Chapitre 19

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Au milieu des rues de Gênnille, la voiture d'Alix semble la seule à troubler le silence avec le ronronnement régulier de son moteur, faisant fuir de temps à autre des chats errants.

C'est toujours calme dans le quartier, aux alentours de ces heures-là. Et même si de nombreuses maisons sont encore allumées, ou du moins trahissent de la vie à l'intérieur, nul ne semble avoir l'envie de pointer le bout de son nez dehors, la faute au vent glacé de l'automne.

Ce décor figé convient plutôt bien aux envies d'Alix en ce moment : du calme, de la sérénité, du silence. Monde apaisé pour pensées qui voudraient l'être.

Hélas, l'image d'Oriane l'obsède et l'empêche de trouver repos, une figure qui inlassablement lui revient, entourée d'une nuée de questions comme des abeilles. Bien sûr, ces interrogations demeurent sans réponse, des cris de détresse qui ne génèrent rien d'autre qu'un écho.

Comment Oriane a-t-elle pu connaitre une telle décadence si vite, changer à ce point de caractère en si peu de temps ? Pourquoi s'est-elle amourachée d'un individu aussi dangereux que cet Ikare Dussant ? Que fait-elle maintenant ? Est-elle devenue comme eux, une criminelle ou une dealeuse, ou bien une captive ? L'enferment-ils dans une cave, comme on le voit dans les films ? La torturent-ils ? Oh non, pire... Et s'ils l'avaient tuée ?

Ressaisis-toi Alix, tu dis n'importe quoi. Tu as fini de t'imaginer des scénarios aussi ridicules ? A croire que tu voudrais vraiment la voir souffrir !

Elle tourne à droite en marmonnant.

S'il y a bien une chose qu'elle ne supporte pas, c'est la sensation d'être prise au piège – son côté claustrophobe, sans doute. Or en ce moment, ce sentiment ne la lâche pas, rappel incessant que quoi qu'elle fasse pour essayer de retrouver son amie, elle échouera car son adversaire n'est autre qu'un dieu.

La Clio s'engage sur un rond-point. Première sortie à droite, et elle sera à la maison.

Comment lutter contre un pareil titan ? Cette organisation est trop bien rôdée pour être vaincue, mise en place depuis si longtemps qu'elle paraît maintenant invincible.

Eh bien, ce sera David contre Goliath !

Elle prend la deuxième sortie, rattrapée par sa mauvaise conscience qui commente :

Mouais. Ce sera surtout une blonde écervelée, une mère au foyer un peu nunuche et un psychologue venant de se confronter à un échec professionnel contre un gang de mafieux armés jusqu'aux dents régnant en maître sur Laffiera.

Cela sonne moins bien.

En somme, la jeune femme se retrouve dans une impasse. Dans tous les sens du terme, d'ailleurs : trop occupée à réfléchir, elle a pris la mauvaise direction et a débouché sur un cul-de-sac.

Non mais la blague, sérieux !

À grands renforts d'injures maudissant tout un tas de choses diverses dont en premier lieu la barbe de Verlaine, elle entame une marche-arrière avant de rejoindre la bonne rue.

Si Oriane était là, elle n'aurait pas manqué de la charrier gentiment sur son étourderie en prenant une voix de professeure pour commenter "Eh bien c'est du joli tout ça !"

Et puis, inéluctablement, elle aurait fini par rire de son petit rire si agréable, ce genre de musique que, juste pour entendre une nouvelle fois, Alix serait prête à toutes les pitreries possibles. Ses yeux animés de malice, légèrement plissés, ses joues roses soudain relevés : dans un moment de grâce pareille, il ne manquerait plus que la lumière des anges pour couronner le tout.

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