Chapitre 12

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C'est très satisfaite que ce soir-là, Fanny Denn annonce à son mari :

« Mon chéri, bonne nouvelle ! Alix s'inquiétait bel et bien pour rien : son amie se porte à merveille !

Saïd hoche la tête, nettement plus intéressé par le téléfilm qui passe que par la santé mentale de l'entourage de sa belle-soeur. Cela ne démonte pas son épouse qui continue, toute ravie :

— Elle fréquente depuis quelques temps un jeune homme, et crois-moi, ils se dévorent du regard !

— Formidable, raille-t-il. J'espère qu'on sera invités au mariage, au moins...!

— C'est sûr ! Surtout que c'est un ami à toi, il me semble...!

Soudain il cesse de rire.

— Quoi?

— Mais si, le petit blond qui vient souvent te voir au cabinet...

Il se raidit.

— Ikare Dussant... »

Le quinquagénaire ne l'a jamais vraiment aimé, celui-là. Or, suite à une promesse qu'il avait faite à un vieil ami, il lui a fallu l'accepter dans son cabinet, gratuitement qui plus est. Geste qui ne l'empêche cependant pas de rester sur ses gardes, car le docteur, sans connaître précisément quoi, devine bien que son patient a eu un passé... mouvementé.

Quand on a un nom de famille pareil, on ne peut pas être un agneau.

Ikare fait partie de ces gens qu'on peut qualifier d'électrons libres : lunatique pour ne pas dire bipolaire, doté d'un certain goût pour le mystère pouvant vite casser les pieds, sans oublier son incroyable arrogance.

Même si ces derniers temps, il parait changé... Moins insolent, plus silencieux que jamais, il semble avoir une mauvaise idée en tête.

Pourtant, là se trouve le plus étrange, cet irritant personnage fascine une part de Saïd, sa part la plus sombre, une espèce de docteur Frankenstein tout au fond de lui qui n'a qu'un désir : trouver le premier la clé à l'énigme qu'est cet homme. Et le mettre à genoux.

Un psychologue est-il censé avoir ce genre de pensées ?

Et tandis que des envies si obscures nourrissent l'esprit de Saïd, son épouse poursuit sans se douter du drame qu'elle annonce :

« Oui, c'est ça !

— Ce n'est pas mon ami, grogne-t-il.

Mais qu'est-ce qu'il ficherait avec Oriane Souaignot ?

— Pourtant tu lui offres tes consultations... sourit Fanny, taquine.

L'heure n'est pas au débat pour savoir si Ikare peut oui ou non être considéré comme ami – surtout que vous, vous savez déjà l'avis du docteur sur la question.

— Et tu dis qu'il traine avec Oriane Souaignot ?

— Je viens de te le dire, tête de linotte ! »

Saïd n'écoute plus désormais : tout vient de s'assembler dans sa tête avec une brutalité terrifiante. L'humeur étrange de son patient, ces derniers temps, ses énigmes...

Je suppose que vous avez quelques bases de physique ? avait-il demandé.

Il avait parlé de choses en apparence absurdes et hors-sujet, comme le fait qu'un électron de trop suffisait pour déstabiliser un atome et le transformer en ion. Puis, lorsque le psychologue lui avait demandé ce que tout ce beau discours scientifique voulait dire, le terrible personnage avait juste souri et déclaré :

« Oh, juste une mise en garde.

Contre qui ?

Votre dévoué serviteur ici-présent. Là-dessus, je pense que nous pouvons terminer notre séance, n'est-ce pas ? A la prochaine docteur. »

Ça y est, Saïd comprend tout. L'atome, c'est Oriane Souaignot. Et Ikare s'apprête à tout chambouler...

Putain de merde !

Le psychologue se lève aussitôt, sous le regard étonné de sa femme, et bondit dans sa voiture en direction du domicile d'Ikare, bien décidé à agir contre la rébellion de son fascinant sujet d'études avant qu'il ne soit trop tard.

Mais ce qu'il ignore, c'est qu'en réalité, le mécanisme est déjà enclenché depuis trop longtemps pour être arrêté.

Mauvais RêvesWhere stories live. Discover now