Chapitre 27

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Plusieurs jours se sont écoulés depuis que l'Organisation a sévi dans une petite église de quartier. Évidemment, l'affaire a été étouffée, et le prénom de la victime ne se prononce plus qu'à voix basse dans quelques maisons endeuillées. Il parait que la vue du cadavre a suscité des haut-le-cœur même chez les secouristes les plus aguerris. Il parait que le curé a fondu en larmes devant l'immonde spectacle. "Il parait" et il paraîtra toujours, puisque personne n'a le courage de confirmer ces dires...

Alors, comme toujours dans ces moments-là, Laffiera fait ce qu'elle sait faire de mieux : cacher l'horreur. Puisque Noël approche, elle commence à fanfaronner, maquillée de guirlandes et d'illuminations. Tous ses quartiers se déguisent en rouge et blanc comme des courtisans hypocrites qui se rendraient au bal. Tous, sauf les Gritants, bien sûr.

Là-bas au moins, on ne fait pas semblant : le rouge et le blanc s'y arborent toute l'année, rouge du sang et blanc des cadavres, n'en déplaise à la soi-disant "magie des fêtes".

Ainsi, dans le ciel de décembre qui domine les Gritants, nul traineau en vue. Rien sinon ce voile nuageux trop vide et trop noir, où seule la Lune perce tant bien que mal. L'astre a des airs de diva malade, ce soir, blafarde et maigrissante. Ses rayons évoquent quant à eux des voleurs. Leurs longs doigts pâles s'engouffrent dans les larges ouvertures d'une usine abandonnée, sans fenêtre depuis longtemps. Ils caressent les machines délaissées, les débris métalliques par terre, les murs de tôle que l'hiver a rendue glacée. Ils caressent aussi deux silhouettes, peut-être des fantômes.

Ils marchent côte-à-côte dans l'immense friche industrielle, l'un grand et tout en muscles, l'autre à l'inverse chétif d'apparence – seulement d'apparence. Leur pas est assuré, il évoque celui des seigneurs. Après tout, c'est ce qu'ils sont aux Gritants : des seigneurs.

« Ça s'est mal passé avec le boss, j'imagine ? demande le plus grand des deux.

La voix de l'autre oscille, se voulant amusée mais sonnant amère :

— On va dire ça comme ça.

Ces seigneurs, vous l'aurez deviné, sont ceux qu'on surnomme à la Cour l'Angelot et Ryuk. Ce soir encore, un sombre forfait s'apprête à être commis, et ils s'y dirigent tranquillement.

— Allez chéri, je sais qu'il t'a engueulé...

Venant du colosse, ces mots ne sonnent même pas comme une moquerie.

— Pas mal, oui, confesse Ikare sans réprimer plus longtemps une grimace à ce souvenir. Il était carrément en rogne.

—... comme souvent en ce moment, soupire Ryuk.

La semelle de ses Doc Martens résonne dans le silence. Ikare le sait, son goût pour les paillettes au Roi de Pique et sa tendance à appeler tout le monde "chéri" n'empêchent pas cet homme d'être intelligent. Trop intelligent et réfléchi pour son ami, parfois. Cependant, et c'est incontestable, le colosse ne se trouve pas à sa place actuelle pour rien. Ses innombrables cicatrices en sont bien la preuve.

Ryuk est lucide. Ryuk est malin. Ryuk saisit vite la personnalité des gens face à lui – et il sait comment s'en servir...

Si Ikare ne le connaissait pas depuis si longtemps, il le classerait sans doute dans la catégorie des manipulateurs. Néanmoins, après tous ces délits commis ensemble et ces folles soirées passées au Roi de Pique, il sait son ami loyal, et leur relation solide.

C'est donc sans crainte que le blond reconnait :

— Tu as raison, il pète les plombs. C'est plus le Cthul qu'on a connu. Il devient impulsif, carrément mal..

Mauvais RêvesWhere stories live. Discover now