Chapitre 6

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La porte de la chambre s'entrouvre dans un grincement. Rien qu'au bruit des pas, un claquement des talons bien durs sur le vieux pallier, Oriane devine avec effroi la personne qui vient. Elle voudrait se cacher, disparaître, mais elle sait que si on la retrouve, ce sera encore pire. Et c'est comme avec les chiens de son oncle : on la retrouvera quoi qu'il arrive...

De longs cheveux poivre et sel, secs, sales, autour d'un visage tout aussi sec et sale, avec plus bas des doigts aux allures de griffes, un petit air de furie grecque : voilà l'allure de la femme entrée dans la chambre. Quant à ses lèvres pincées, elles annoncent d'avance le venin qui va en jaillir.

« Encore un zéro en dictée? Tu es vraiment nulle. »

Sa voix est comme une flèche à la pointe tranchante. La petite Oriane, qui n'a pas encore dix ans, tremble de peur et reçoit les coups en silence. C'est vrai que le français, ce n'est pas son point fort : une honte aux yeux de sa génitrice qui, plus jeune, avait des rêves d'écrivaine.

Sa génitrice. Oui vous avez bien lu. Cette femme acide aux yeux d'un gris glacé n'est autre que sa mère.

La minuscule Oriane baisse les yeux, serrant de toutes ses forces la poupée avec laquelle elle jouait.

« Pardon maman.

L'autre esquisse un rictus mauvais, et une désagréable odeur d'alcool accompagne son rire qui n'en est pas un.

— Tu crois que t'excuser, ça va suffire? Tu n'es qu'une merde. Et ce n'est pas en disant "pardon" que tu vas t'améliorer.

Le ton est cinglant. La femme lui arrache des mains la poupée puis continue en soupirant:

— Et pis tu sais quoi? En fait, je m'y attendais. Tu hérites bien de tes parents : un salopard et une ratée, ça pouvait rien donner d'exceptionnel ..! »

Elle a bu avant de venir. Papa dit qu'elle souffre beaucoup, et que si parfois elle est méchante, ce n'est au fond pas de sa faute. D'après lui, les Hommes lui ont brisé ses rêves et son coeur des années plus tôt. C'est pour ça que Maman boit avec le fol espoir qu'un jour cette eau ambrée l'engloutisse et lui ôte, pour de bon, la vie. C'est pour que ça que certains jours, Maman frappe Papa et l'insulte de tous les noms.

« Pardon maman. »

Parce que quoi que cette dernière en dise, la seule chose qu'Oriane peut faire pour sa mère, c'est s'excuser. De tout ce qu'elle a fait à cette femme désabusée et de tout ce que le monde a lui a fait par le passé.

***

La jeune femme émerge enfin de ses mauvais rêves. Épuisée comme si elle n'avait pas dormi, retenant tant bien que mal ses larmes, elle aimerait gémir, hurler, prier pour qu'on lui arrache tous ces souvenirs... Prête à tout si c'est pour oublier le rire mauvais de sa génitrice, pour juste... ne plus rien sentir.

Le bilan lui revient en pleine figure, amer : toujours la honte de sa mère, toujours un fardeau pour elle, incapable de faire naître ne serait-ce qu'un instant un peu de fierté dans son regard.

Tu n'es qu'une merde.

C'est alors qu'apparait Witahé, la mine soucieuse.

« Tu vois bien que ça empire. Je t'en supplie, Oriane, reprends rendez-vous avec le docteur Denn. C'est ta seule issue. Et tu le sais. »

Elle le sait. Alors Oriane répond à l'affirmative d'un petit geste de la tête, avant de quitter son lit pour prendre son petit-déjeuner.

***

Mauvais RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant