Chapitre 31

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« ... et les policiers l'ont emmené, » murmure Saïd, achevant son récit d'une voix tremblante. 

A la suite de ces mots prononcés, un silence profond s'impose, mais il ne le remarque pas, lui dont le crâne est devenu trop bruyant. Il ne le remarque pas, non, pas plus qu'il ne remarque les gestes nerveux d'Alix, le regard compatissant de Verano et la mine pensive d'Isaac.

Il ne remarque rien de tout cela, car son esprit est ailleurs, retenu prisonnier du cabinet où, quelques soirs plutôt, Ikare Dussant est venu et a été arrêté. Les cris et les injures que celui-ci lui a adressés retentissent encore à ses oreilles, trop vifs pour n'être que des souvenirs, trop violents pour n'être que des paroles. Ils résonnent encore et encore, ces échos qui ne s'arrêtent pas – ne s'arrêteront jamais. Ils lui font mal. Et aucun poison de son ancien patient, aussi désagréable soit-il, ne semble plus douloureux que celui de ces mots.

Saïd a bien essayé de lui parler, de le raisonner, de faire au moins quelque chose. Mais le jeune homme ne l'écoutait pas, perdu dans l'abîme de sa folie, en lutte avec tant de pensées contradictoires que le psychologue ne semblait pas avoir sa place dans ce combat : ils étaient déjà trop nombreux dans sa tête. Il passait du rire aux larmes, se plaçait en victime et coupable, vagabond de haine et de désespoir.

Il fallait mettre fin à sa cavale insensée. Il fallait contacter la police. C'est ce qu'a aussitôt fait Saïd. Il leur a envoyé un message au 114, puisqu'un appel au 17 était trop dangereux dans sa situation actuelle. Puis il a pris soin d'enregistrer la conversation, ou plutôt le monologue, conscient des potentielles informations que pourrait dévoiler Ikare au cours de son étrange tirade. Ces informations, d'ailleurs... L'une d'elles surtout l'avait marqué...

Il a avoué qu'il avait tué le chef de l'Organisation, bon sang. Comment Saïd avait pu survivre à sa rencontre avec Ikare, alors qu'un être si redouté y avait succombé ?

Comme s'il lisait dans ses pensées, Isaac déclare soudain en se redressant, jusque-là méditatif et amer au fond d'un fauteuil :

« Ikare t'a épargné. Il aurait pu venir armé et te tuer directement, mais il ne l'a pas fait.

— C'est vrai, reconnait Saïd sans parvenir à maîtriser les tremblements de sa voix, ni à faire taire celle qui lui lançait quelques soirs auparavant, comme pour confirmer la théorie de son fidèle allié :

Je suis pas d'humeur à me battre, d'accord ? De toute façon je suis trop fatigué pour ça. C'est sympa que tout le monde s'entretue, mais là, je veux juste parler, pigé ? Juste parler.

— Je pense qu'il est venu se livrer à toi, poursuit pendant ce temps le vieil homme. Tous ces morts... Ça lui pesait forcément sur la conscience : il a fini par craquer et n'en plus pouvoir. Il a beau essayer de cacher ça sous de la provocation, pour moi c'est clair : il voulait se confesser...

Son regard se plonge plus intensément dans celui de son ami désoeuvré :

— Et c'est toi qu'il a choisi comme confesseur, Saïd.

Trop intensément pour ce dernier. Il détourne le regard en rétorquant :

— Il ne m'écoutait pas.

— Il ne m'a jamais vraiment écouté non plus, tu sais...

Il y a comme une ébauche de sourire triste sur les lèvres d'Isaac. Esquisse fugace, hélas, car un soupir l'en chasse :

— Il voulait juste que tu l'écoutes. »

Ses divagations à voix haute comme un miroir de son âme tourmentée, Ikare aurait donc appelé, plus ou moins consciemment, à l'aide ? Cela expliquerait pourquoi il a fait mine de ne pas remarquer le téléphone que Saïd dissimulait maladroitement sous son bureau. A moins que la folie ne l'ait vraiment empêché d'avoir la moindre lucidité ? Après tout, quand le docteur baissait les yeux vers son écran, il interprétait cela comme de la soumission... Néanmoins, il y a ces paroles...

Mauvais RêvesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant