Chapitre 26

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— Putain, qu'est-ce que vous fichez ?!

Marbre vient d'arriver en trombe dans le lieu bafoué. Tornade au visage rouge et au poing serré, son masque de glace a laissé place à un brasier enragé.

— Les flics vont se ramener d'une minute à l'autre avec tout ce boucan, et vous, vous ne trouvez rien de mieux à faire que fricoter ? aboie-t-elle. Non mais quel travail dégueulasse ! Bande d'imbéciles !

Loin de se sentir honteux face aux réprimandes, les deux coupables se rhabillent en hâte. C'est le même sourire qui étire leurs lèvres. C'est le même ravissement malsain qui les possède. Ils se regardent avec tendresse, charmés l'un par l'autre comme s'il sortaient d'une nuit de noces.

Pendant ce temps, la plus âgée jette des regards alarmés derrière elle :

— Grouillez, les mioches ! On a assez perdu de temps comme ça ! »

La fête se finit sur une note décevante, mais les tortionnaires n'ont guère le choix. En vitesse et non sans quelques regrets, ils emportent la mallette, les armes, et s'enfuient. Pas même un regard pour l'église, son autel souillé et son carrelage repeint en rouge. Ils se précipitent dans le fourgon de Marbre.

Au loin, la sirène de la police commence à résonner. Conduit d'une manière nettement plus musclée qu'à l'aller, le fourgon file à toute vitesse. A son passage, les volets clos des maisons prennent des allures de barricades. Oriane imagine les gens tremblants derrière ceux-ci, eux que les coups de kalachnikov, les cris de l'un et les rires des autres ont réveillés – en partant du principe qu'ils dormaient encore. Mais n'y a-t-il pas plus beau réveil qu'un rire de son cher Ikare...? Tout est relatif : l'amant d'une personne peut être la terreur de toutes les autres !

A cette idée, Oriane embrasse le blond, qui hélas n'a pas le temps d'y répondre, interrompu par une toux irritée de Marbre.

Cette dernière, visiblement habituée à ce genre de difficulté, gère la situation avec une parfaite maîtrise du véhicule. Il se faufile de ruelle en ruelle. Sans se laisser le moins du monde distraire par sa colère, la sexagénaire enchaine les raccourcis sans ciller. Le sérieux qu'elle affiche ne laisse aucun doute : les forces de l'ordre ne peuvent rien contre elle. Ni contre eux.

Le fourgon, d'une étonnante agilité pour un engin de cette largeur, parvient à se frayer un chemin dans les passages étroits du quartier. À peine un phare effleuré. La conductrice agit, elle n'hésite pas ni ne se laisse dépasser par les émotions. Elle se contrôle. Cela fait longtemps qu'Oriane n'avait pas vu une personne aussi maître d'elle-même...

« Vous me décevez, grogne alors Marbre en virant à droite. Vous n'aviez qu'une chose à faire. On vous avait mâché tout le travail, vous aviez l'adresse, l'heure, les armes, tout.. Et vous avez quand même réussi à oublier l'objectif.

Elle élève la voix sans pour autant perdre son sérieux :

— Et pour faire quoi à la place ? Baiser ! Comme des lapins ! Vous savez pas vous retenir deux secondes ou quoi ?

Malgré la dureté de ces mots, la passagère brune n'arrive pas encore à maîtriser son euphorie. Alors elle éclate d'un petit rire, incapable de réaliser la gravité de ses actes. Tout au plus, il lui reste assez de raison pour lancer :

— Mais pourquoi on devrait fuir les flics et rester discrets ? T'as qu'à refaire le même coup qu'avant-hier, Ikare !

Ce à quoi la conductrice rétorque :

— Ce coup-là nous a mis dans de beaux draps, gamine. Casselnoir n'a pas apprécié du tout, nos soutiens commencent à se barrer, des rumeurs courent comme quoi ça se casse la gueule dans la hiérarchie... Alors si j'étais toi, je ferais pas ma maligne.

Mauvais RêvesWhere stories live. Discover now