Chapitre 32

67 12 49
                                    

Oriane fixe le mur immaculé face à elle. Avec la lumière crue de cet après-midi de janvier, premier mois d'une année arrivée sans qu'elle s'en rende compte, la couleur semble encore plus vive. Tout ce blanc lui rentre par les yeux et se met à l'assaut de son crâne encore bourdonnant. Il gagne du terrain progressivement, enchainant les victoires par la magie diabolique de la science. Mais les calmants n'ont pas encore totalement maté les pensées agitées de la jeune femme. Elles se débattent toujours au milieu des brumes opaques, malgré sa bouche pâteuse, ses phalanges endolories, sa douleur persistante au ventre, et son état nauséeux qui rend sa vision aussi vague que ses souvenirs...

Bon, franchement, elle a connu mieux.

Oriane se redresse un peu en grognant, la moitié inférieure de son corps dans son lit, la moitié supérieure adossée au mur derrière. Elle n'a pas la force de bouger davantage, trop fatiguée pour se mettre ne serait-ce que debout. Seules ses pensées ont encore la force de lutter contre l'engourdissement progressif de son être. Alors elle s'y accroche. Elle n'a plus que ça à faire, après tout...

L'internée grogne de nouveau. Comment en est-elle arrivée là, déjà ?

Ils lui ont donné des calmants, d'accord. Parce qu'elle s'était mise à s'agiter, d'accord. Et elle hurlait quelque chose, d'accord. Quelque chose qu'elle n'arrive plus à se rappeler pour le moment, dommage.

Elle a aussi fait fleurir des roses bleuâtres sur ses phalanges claires à force de cogner les murs blancs, mais il faut croire que cette palette de couleurs masochiste n'était pas du goût des soignants.

D'ailleurs, ce n'est pas la première fois qu'elle faisait quelque chose que les autres désapprouvent... L'internée fronce les sourcils sous l'effet de la concentration. Elle sait que cette affirmation est vraie, forte d'une conviction rendue hélas inexplicable à cause de l'amnésie. Comme si ces souvenirs-là se trouvaient derrière une porte, et que les calmants lui en interdisaient l'accès.

Mais maintenant qu'elle est consciente de cette barrière, elle veut l'ouvrir... Elle le voudrait tellement... Elle se jette à corps perdu contre elle avec les dernières forces qu'il lui reste, réclamant son passé après l'avoir si longtemps fui. Par la pensée elle hurle, en réalité elle gémit. Ses poings et son coeur pleins d'ecchymoses frappent à la porte barricadée de sa mémoire comme ils frappaient les murs de sa chambre. A la différence près que cette fois, elle n'est pas animée par la rage, mais le désespoir. Le désespoir frustré d'une fauve dont la folie faiblit...

Sauf que soudain, par surprise, la serrure cède. Des images floues lui reviennent alors, comme les bribes d'un rêve. Ça y est. Elle se rappelle son arrivée à l'hôpital, où elle est depuis maintenant... quelques semaines ? Un mois ? Deux ? Elle se rappelle le procès qui l'y a menée. Elle se rappelle la voix lourde du juge, les regards assassins que lui adressaient les uns, ceux larmoyants que lui adressaient les autres. Elle se rappelle la prison, la colère, l'abandon et la fatigue. Elle se rappelle qu'elle a attendu quelqu'un, mais que cette personne n'est jamais venue.

Elle se rappelle aussi qu'à l'inverse, quelqu'un est venu sans être attendu – la douleur sourde dans son corps en témoigne.

Mais avant qu'elle ne puisse se pencher davantage sur ce dernier point, les visions passagères se font plus distinctes, plus intenses, presque étourdissantes pour son esprit embrumé.

Des cris. Des crises. Des criminels.

A ces images, Oriane esquisse un mouvement de recul et se cogne au passage contre la cloison. Son crâne bourdonne plus fort.

Pourtant, malgré les calmants, impossible d'y résister davantage, elle qui a voulu s'y plonger : la voilà entrainée vers le bas par des souvenirs d'hommes agonisants, de blasphèmes et de folie à l'état pur. Ses mains lui semblent soudain souillées d'un sang au rouge indélébile. Dans sa gorge, la nausée menace de remonter, et un cri de jaillir :

Mauvais RêvesWhere stories live. Discover now