II- Intrusion

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Angélique


Je n'ai pas pu tirer autre chose de cette tête de mule de Gaby de tout le reste de la journée. Plus muet qu'une tombe, incroyable. Et frustrant. J'ai beau jouer les amies compréhensives, je suis tout de même bien trop curieuse pour ma propre sécurité... Bref, lorsque nous sortons de notre dernier cours, Gaby me raccompagne chez moi, comme tous les jours depuis la maternelle. En vérité, je ne me vois pas rentrer seule, j'ai trop l'habitude de sentir sa présence à mes côtés. Si nos chemins venaient un jour à se séparer, j'aurais l'air bien maline à flipper pour le moindre truc parce qu'il ne sera pas là pour poser une main rassurante sur mon épaule et me taquiner à propos de mes petites crises d'angoisse.

Le voyage en bus passe sans qu'aucun de nous ne décroche un mot. Mais pendant les deux cents mètres qui séparent l'arrêt de bus de chez moi, je n'y tiens plus.

- Gaby, écoute, je sais bien que tu es le roi des secrets et tout et tout, mais j'ai besoin de savoir si tu crois à ces histoires abracadabrantes de fin du monde. C'est important pour moi, tu comprends, dis-je d'une voix pressante.

Il m'offre une nouvelle fois son sourire d'ami parfait avant de me répondre exactement ce que je voulais entendre, comme toujours.

- Angi, je ne suis pas devin, mais je sais que les journaux n'inventent pas ce genre d'info juste pour faire le buzz. Il doit y avoir une explication rationnelle à tout cela, et quand nous l'auront, il suffira d'appliquer à la lettre les recommandations et voilà, problème résolu. Ne t'en fais pas, tu as encore de beaux jours devant toi avant de mourir de vieillesse au fond de ton lit, dit-il, taquin.

- Haha, très drôle, gros malin... En attendant, j'espère que les profs ne nous noieront pas sous le boulot avant la fin du monde...

Il soupire et lève les yeux au ciel en riant.

- T'es franchement pas croyable, Angi. Je te rassure, j'essaye de dédramatiser, et toi tu remets sur le tapis le fait que nous avons quatre oraux cette semaine, six devoirs sur table et un DM.

Je tique.

- Un DM de quoi, exactement ?

- Bah, d'histoire littéraire ? Tu te souviens que le prof nous a rebattu les oreilles avec ce devoirs extrêmement important ?

Oups...

- T'es pas croyable... finit-il par dire en secouant doucement la tête, faisant voleter ses fines mèches d'or devant ses yeux.

- Et euh, c'est à faire pour quand ce truc-là ?

-Mardi prochain, tu as de la chance. On se voit demain à la BU pour que je t'aide à te retrouver dans tes notes ?

- Roh, ça va, c'est pas si désorganisé que ça, répliqué-je, bougonne.

Il fais une petite moue qui ne peut vouloir dire qu'une seule chose : "tu es miss-ça-part-dans-tous-les-sens depuis nos trois ans, c'est pas demain la veille que ça va changer !". Bon, il n'a pas tord... Je sais ce que je fais ce soir, moi... Nous nous saluons finalement et je pousse le portillon du jardin. Je suis étonnée de ne pas voir Mistral, mon berger australien. Habituellement, il n'attend même pas que je sois rentré pour aboyer de contentement et d'impatience, mais là, il ne semble pas vouloir se montrer. Étrange. Je ne m'inquiète pas plus que cela et ouvre la porte d'entrée.

- Coucou papa, je suis rentrée !

Pas de réponse. Il doit encore être au boulot. Tim est sans doute encore à l'école, pour sa part. Tim est mon demi-frère, ou plus exactement mon frère d'adoption. J'ai toujours su que j'avais été adoptée, mes parents adoptifs ne me l'ont jamais caché. Il m'ont adoptée quand je n'étais encore qu'un nouveau-né. Ils n'ont pas eu le droit de me choisir un prénom puisque ma mère biologique, où qu'elle soit, avait décidé que je serais Angélique et rien d'autre. Cool. C'est pas super sympa de donner un nom à ton gosse quand tu sais que tu vas le laisser au premier venu, mais bon, pourquoi pas, je ne juge pas. Ou pas trop. Je n'ai jamais cherché mes parents biologiques. Je sais que mon père existe encore quelque part sur cette Terre, mais ma mère est morte peu après ma naissance, je n'en sais pas plus.

Bref, il semblerait que je sois seule pour encore quelques heures, l'occasion ou jamais de faire du rangement dans mes cours. Je sors sur la terrasse et fais face au paysage montagneux tout autour de moi. J'adore vivre ici, loin de tout, proche de la terre. Mes parents bossent, Tim est en cours, j'ai tout le temps de rêvasser en rangeant plus ou moins bien mes cours. Seulement voilà, ma capacité de concentration équivaut à celle d'un poisson rouge, alors forcément, je me mets à papillonner, mes pensées s'échappant loin, très loin de ces mots écrits au stylo bleu à la va vite sur du papier perforé. C'est le jappement de Mistral qui me fait revenir à la réalité. Mon chien est dans sa niche, prostré, effrayé par quelque chose. Immédiatement, je suis sur mes gardes, mais je sais aussi que ce chien est le pire gardien qu'on ait jamais connu. Il fait la fête à tout le monde, ami ou ennemi, du moment que tu peux lui lancer un caillou ou un bâton. Je m'approche de sa niche mais il se repli encore plus sur lui-même et montre les crocs en grondant sourdement. Inquiète et un peu intimidée tout de même, je me penche vers lui et tente une caresse qu'il évite en grondant toujours. Il a ses règles ou quoi ? Mais quand je me redresse, je comprends immédiatement pourquoi mon chien gronde comme jamais je ne l'ai entendu gronder. Au milieu du jardin, se tient un homme. Une chose. Une créature que je ne saurais nommer. Filiforme, noir veiné de rouge, l'être dans mon jardin me souris en plantant son regard de braise dans le mien. Il fait un pas vers moi. Je hurle.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant