XLVII- Mise à mort

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Gabriel


Alors que je m'apprête à obéir à la volonté du Père, je garde ma lame levée, objet sans âme attendant son lot de sang entre mes mains.

A mes pieds, ce démon que je hais. Ce démon que j'ai haïe... Fenris relève douloureusement la tête, me fixant de ses yeux si étranges emplis d'incompréhension. Cet instant devrait être mon moment de gloire, celui que j'attends depuis des centaines d'années, le jour où je débarrasse la Création de sa pire déviance.

Et pourtant, j'hésite, à la fois vainqueur et vaincu. J'ai mis mon ennemi à bas, mais je ne veux plus de sa vie. Ce pardon que je lui refusais s'impose désormais à moi, aussi implacable que le soleil qui se lève chaque jour.

Je baisse mon arme dont l'extrémité va se planter dans le sol dans un tintement de déception. Un ange se doit d'être miséricordieux, de pardonner les fautes.

- Gabriel, que fais-tu ? m'interroge Haniel, son regard allant de mon visage à mon épée. Accomplis ton devoir et rentrons, nous n'avons que trop tardé déjà.

Je secoue doucement la tête.

- Non.

- Que dis-tu ?

- Le sang a assez coulé pour aujourd'hui. Je ne prendrai pas sa vie.

- Mais tu as perdu la raison ?! s'insurge Raphael. Il a tenté de détruire la Création et tu refuse de débarrasser le monde de cette abomination ?!

Je sens mon coeur se serrer, sentiment étrange car rarement ressenti. La dernière fois, c'était il y a un siècle, au moment de décocher cette maudite flèche blanche.

- Il a protégé la Fille de la Terre à maintes reprises. Sa dette est payée. Quant à moi, je lui ai promis la liberté sans conditions. Tel était notre pacte.

- Au diable ce pacte ! s'emporte Haniel. Si tu lui a rendu sa liberté, alors nous sommes nous aussi libérés de notre serment de protection des prisonniers. Il est libre de tenter de nous tuer, et nous le sommes tout autant !

Je recule d'un pas en secouant la tête.

- Je ne le tuerai pas. Ni aujourd'hui, ni demain. La lame blanche d'Angélique aura emprisonné une partie de son pouvoir. Il ne sera plus jamais le démon qu'il était il y a une heure de cela. Il a payé sa dette à ce monde, dis-je en tournant les talons pour retourner auprès d'Angi qui semble avoir du mal à revenir à la réalité.

- Gabriel, ne fais pas ça !

Je me retourne vivement. Cette voix n'appartient à aucun de mes frères. Derrière moi, maintenu tant bien que mal par Haniel et Raphael, Fenris se débat pour se relever tout en me fusillant du regard.

- Ne fais pas quoi ? demande-je en haussant un sourcil.

Fenris grimace sous le coup de la douleur due à ses nombreuses plaies d'où s'écoule encore et toujours un sang épais et visqueux.

- Ne laisse pas mon agonie s'éterniser. Je ne suis pas du genre à implorer la clémence d'un archange ou de quelque autre créature que ce soit, mais je t'en prie, laisse-moi mourir.

Un long silence s'empare de ce moment avant que je ne secoue négativement la tête à nouveau. C'est alors que, dans un cri de rage, Fenris se libère de la poigne de mes frères et se précipite sur moi. Tout se passe si vite que je n'ai pas le temps de réagir avant de me retrouver plaqué contre la pierre tranchante de la falaise derrière moi, un démon me fixant de ses yeux chargés d'une folie où brille le désespoir me maintenant à quelques centimètres du sol.

- Qu'est-ce que j'ai bien pu te faire pour que tu me haïsse à ce point ?! me crache-t-il au visage, ses traits déformés par la douleur et la fureur. Ton plan a toujours été de me tuer, peu importe l'issue de ce combat, et maintenant que tu en as l'occasion, maintenant que j'appelle la mort de mes vœux, tu me la refuse ?! Quel genre de monstre es-tu donc ?!

Son regard brûle de colère, de rage, même, et pourtant, je reste calme.

- Je t'offre ta chance de te racheter. Fais ce que bon te semble, tu n'es plus un danger pour qui que ce soit. Ta puissance passée n'est plus qu'un lointain souvenir et ma dette de sang est payée.

Dans un nouveau grondement de rage, il me propulse au loin. Je me rétablis sur mes pieds rapidement et pointe instinctivement mon arme devant moi.

Et par-delà mon arme, Fenris, de nouveau calme et froid, comme le démon effrayant qu'il a toujours été et qu'il ne sera jamais plus.

- Si ce sont mes suppliques que tu souhaites, tu les attendra encore longtemps. Mais maintenant que tu as retrouvé un peu de combativité, débarrasse-moi de ce monde. Je n'en veux plus. Il ne m'apportera plus rien et tous mes espoirs ont été balayés. A présent soit un archange digne de ce nom et utilise cette épée comme il se doit.

Il empoigne mon arme par la lame et la pointe droit sur son coeur, s'ouvrant les paumes sur la lame effilée. Sans savoir réellement pourquoi, je résiste et tire l'épée vers moi, empêchant Fenris de mettre fin à ses jours. Mais la force du démon est loin d'être aussi diminuée qu'il ne le laissait paraître. L'arme reste immobile entre nous, tendue vers son but, retenue par mon âme.

Soudain, alors que le temps semble s'allonger à l'infini, Fenris attrape la garde de mon épée et s'empale contre l'arme qui tranche tout sur son passage. Je suis pris d'un haut-le-coeur lorsque la pointe de métal poisseuse de sang reparait dans le dos du démon. L'homme-loup ouvre largement la bouche sous le coup de la douleur et laisse échapper un faible râle tandis qu'un flot de sang s'écoule de ses lèvres.

- Tu vois... c'était pas... si compliqué... souffle l'immortel aux yeux d'or, du sang s'échappant de la commissure de ses lèvres toujours habillées de leur éternel sourire.

Puis, sous mes yeux horrifiés, il s'écroule au sol dans un soupire, la lame s'extirpant de son corps meurtri dans un chuintement satisfait.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Where stories live. Discover now