XXXVIII- Duel sur le toit du monde

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Gabriel


Le silence tombe soudain comme une chape de plomb. Même le vent semble s'être tu. Les anges se précipitent à toute vitesse vers les hordes démoniaques rassemblées au sol tandis que les diables prennent leur envol pour aller à la rencontre de leurs ennemis célestes. Une minute. Une éternité.

Puis l'impact.

Le monde semble éclater soudain dans une avalanche de sons entremêlés et assourdissants. Le fracas des armes qui s'entrechoquent, le bruit sourd des corps entrant en collision, les râles des premiers blessés, l'odeur du sang, du fer, de la peur, de l'urine, tout ce qui fait d'un champ de bataille l'antichambre de l'Enfer.

Les Walkyries plongent entre le rangs des démons mineurs qui s'éparpillent rapidement, cherchant à éviter une mort aussi rapide que douloureuse. Depuis l'endroit où je me trouve, je parviens à distinguer toute l'ampleur de ce carnage. Les combats n'ont pas débutés depuis plus de cinq minutes que déjà des monceaux de cadavres encombrent le sol rendu glissant par les pas des milliers de guerriers et le sang de beaucoup d'autres.

Soudain, un coup de trompe sordide semble redonner aux troupes des Enfers leur combativité. Les démons se rassemblent et forment un mur défensif. Les Walkyries tentent à nouveau de faucher leurs ennemis mais sont alors repoussées par les piquiers infernaux. Certaines, emportées par leur élan, se retrouvent empalées sur les armes de nos ennemis qui lancent des insultes et des éclats de rire à chaque nouvelle goutte de sang versée.

Folie et Mort prennent déjà le contrôle de ce champ de bataille...

A quelques centaines de mètres des premiers combattants, Angi tient toujours son bouclier protecteur autour de Fenris qui, même s'il perd encore une quantité de sang impressionnante, tente déjà de se relever. Quant à moi, je fixe la bataille de loin, en oubliant presque la menace mortelle que constitue le serpent géant dont l'attention est également portée sur son armée et la mienne.

Ma place est là-bas, à leurs côtés. Je suis leur général, leur chef. S'ils se battent, je me bats avec eux. S'ils meurent, je meurs avec eux. Tel est mon devoir. Mais pour le moment, je me dois de défendre la dernière Fille de la Terre face à un démon qui dépasse nos attentes en terme de puissance.

Je tourne le dos au combat qui fait rage pour faire face à mon ennemi du moment. Jormungand me toise de toute sa hauteur, sûr de sa force. Je plante mes pieds au sol, prêt à prendre mon envole dans toutes les directions au moindre mouvement du serpent démesurément grand.

"-Voyons, Gabriel, tu sais que tu ne pourras pas me vaincre. J'ai dores et déjà vaincu un démon que l'on disait invincible, un monstre si puissant que la force d'une armée, d'un traître et de trois archanges a été nécessaire à sa capture. A toi seul, jamais tu ne pourras espérer me tuer."

Il a parfaitement raison. A moi seul, je n'ai pas une puissance suffisante. Mais un archange digne de ce nom ne se demande pas s'il va mourir ou non. Il va là où son cœur le guide, et le mien sait quel est son objectif. Vaincre, ou périr en tentant d'atteindre mon but.

J'arme mon épée et bondis à l'assaut des nuages, tentant de me dissimuler aux yeux de mon adversaire. Je sens les crochets enduits de venin du monstre me frôler tandis que je persiste dans ma montée. Une fois arrivé au-dessus du toit du monde, j'attends que l'ignoble reptile montre le bout de ses écailles.

Il ne tarde pas à arriver.

Son immense tête jaillit vers moi, la gueule grande ouverte, prête à dévorer le monde. D'un coup d'épée, je trace une large et profonde estafilade sous l'oeil vert du serpent géant qui pousse un cri de douleur. Ma lame incrustée de pierre du soleil lui laissera un souvenir impérissable de ce combat au-dessus des cieux.

Je vois la rage bouillonner dans son regard émeraude tandis qu'il se jette à nouveau sur moi. Je pare à nouveau son attaque de justesse et plante mon arme dans son palais à découvert. L'animal lâche un nouveau hurlement guttural en se tordant sur lui-même, tentant de juguler la douleur. Disparaissant soudain sous la couche nuageuse, mon ennemi se dissimule à mes yeux. Plonger maintenant serait bien trop dangereux, mais rester aveugle l'est au moins autant. Je ne tarde pas à me décider. Jormungand jaillit à nouveau et plante profondément ses crochets dans ma jambe droite. Je laisse échapper un cri de douleur alors que je sens le poison se déverser dans mon organisme comme un feu brûlant. Me débattant autant que possible, forçant sur mes ailes pour me dégager de cette étreinte mortelle, je blesse à nouveau mon adversaire au visage. Un profonde plaie décore désormais la base de sa gorge. Il me lâche sans douceur, m'envoyant valser plus loin. Je peine à rétablir mon équilibre, le venin commençant déjà à faire son oeuvre. J'aurais dû moi aussi reprendre une bouchée de pomme d'immortalité, ma puissance aurait été décuplée et ma résistance bien plus importante.

Alors que je m'attends à ce qu'il tente une attaque plus furtive et tordue, le démon-serpent me lance un regard assassin et se retourne sur lui-même, regagnant le sol à toute vitesse, filant aussi vite qu'il le peut droit vers Angi qui a finalement baissé son bouclier en voyant que le gros du combat n'était plus à sa porte.

Je tente par tous les moyens de la prévenir du danger mortel qui s'abat sur elle, mais elle ne peut m'entendre. Je crois remarquer à ses côtés que Fenris, lui, a fort bien remarqué l'immense bête qui file vers eux comme la mort s'abat sur le soldat blessé. Le démon aux yeux d'or essaye visiblement de prévenir la Fille de la Terre, mais elle semble à nouveau perdue dans une autre dimension, loin de toute cette violence, loin du massacre qui se déroule tout près, loin de cette mort qui fond sur elle.

Alors que je pique vers le sol aussi vite que j'en suis capable, Fenris prend les devants et utilise ses dernières forces pour échanger sa place avec Angi et tendre à son tour le bras pour propulser ce qui lui reste d'énergie droit vers le monstre qui se rapproche rapidement. Un bouclier sombre semblant composé d'âmes aussi noires que la nuit prend forme au bout de ses doigts tendus. Une barrière si fine et si peu imposante en vérité que le moindre contact la briserait en mille morceaux.

Il va mourir.

Elle va mourir.

Encore.

Je ne peux pas laisser faire ça. Pas cette fois.

J'empoigne alors la fine chaînette d'argent à mon cou et brise le médaillon, libérant d'un seul coup toute la puissance du Prince des Ténèbres.

Le monde semble s'arrêter pendant un court instant ; pendant une éternité. J'ai l'impression que le temps s'arrête un peu trop souvent depuis le début de la fin du monde... Le soleil disparaît d'un coup, comme happé par la gueule démesurée d'un loup géant, plongeant le monde dans l'ombre, ensevelissant le champ de bataille dans une nuit sans fin, dans une brume irréelle et malsaine. Cette nuit inattendue fait taire tous les bruits de la vie et fait cesser un court instant le combat interminable opposant le Bien au Mal. Plus rien ne bouge.

Seul Fenris est encore visible dans cette ombre impénétrable. Il écarquille les yeux, comme s'il venait de recevoir une décharge électrique si puissante que son corps ne l'aurait supportée que par miracle. Ses ailes se tendent dans son dos tandis qu'une lumière sombre semble émaner du moindre pore de sa peau. Lévitant à quelques centimètres du sol, la force de ce démon millénaire fait vibrer l'air autour de nous.

Le temps reprend soudain ses droits sur ce monde alors que l'Ange de la Mort regagne la terre ferme. Lorsqu'il repose le pied au sol, une onde invisible fait trembler le sol et l'air.

Le serpent n'est plus qu'à un mètre d'eux, ses crochets à découvert, la mort à ses côtés.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant