IX- Rencontre du troisième type

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(pdv d'Angélique)


Gaby a trois minutes de retard. Ce n'est pas énorme, me direz-vous, mais mon meilleur ami est habituellement plus que ponctuel. C'est moi la retardataire de l'histoire, lui n'a jamais eu une seul seconde de retard à n'importe quel rendez-vous depuis que je le connais, soit presque vingt ans. Qu'est-ce qui a bien pu le retenir ? Pourquoi n'est-il toujours pas là ? Lui est-il arrivé quelque chose ? S'est-il fait attaquer comme le suggérait la tension dans sa voix la dernière fois que je l'ai eu au téléphone ? Je suis vraiment la pire amie du monde. J'aurais dû courir chez lui pour vérifier que tout allait bien, qu'il ne lui était rien arrivé et que son mensonge n'en était pas un...

Quatre minutes.

Il lui est forcément arrivé quelque chose. Je lui ai déjà envoyé trois messages hier soir et un ce matin qui sont tous restés sans réponse. Vous me direz sans doute que c'est idiot de se ronger les sangs pour quatre ridicules petites minutes de retard, mais c'est plus fort que moi. En même temps, comment réagiriez-vous quand votre meilleur et unique ami ne donne plus signe de vie alors que deux semaines auparavant vous étiez attaqué par un monstre impossible à décrire, que ce monstre s'était fait rayer de la carte par un être lumineux également impossible à décrire et que votre poignet était marqué d'un pentacle effrayant qui semble avoir une signification tout aussi effrayante pour ledit meilleur ami ? Je pense que j'ai quelques bonnes raisons de m'inquiéter.

Cinq minutes.

Je panique. Je tourne en rond dans ma chambre en me répétant que si lui se mettait dans des états pareils à chaque fois que j'étais en retard, il serait déjà mort d'un ulcère dû au stress, mais c'est plus fort que moi. Mon cœur tambourine comme un fou contre ma cage thoracique tandis que je fais les cent pas en marquant un arrêt de deux secondes chaque fois que je passe devant la fenêtre, espérant voir sa silhouette se détacher au loin.

Six minutes.

Rien.

Sept minutes.

Toujours rien.

Huit minutes.

On sonne à la porte.

Je descend les escaliers à toute vitesse, manque de tomber à la renverse et fonce jusqu'à la porte d'entrée. Là, je marque un temps d'hésitation. Gaby est en retard. Gaby n'est jamais en retard. Qui aurait l'idée de venir frapper chez moi à cette heure si ce n'est Gaby... ou son agresseur ? Ma main serrée sur la poignée de porte, je reste figée, hantée par les images du monstre qui m'a attaquée, qui m'a marquée.

- Angi, ouvre, c'est moi.

Je soupire de soulagement en entendant la voix familière de mon meilleur ami et ouvre la porte en grand.

- Gaby !

Je m'apprête à lui sauter au cou avant de lui remonter les bretelles jusqu'à ce qu'il m'explique par le menu les causes de son retard, quand mon regard se pose sur l'inconnu qui l'accompagne. Habituellement, je ne suis pas forcément frappée par la beauté masculine. Ils ont tous un défaut, que ce soit mentalement ou physiquement. Mais l'homme qui se tient devant moi semble... rayonner de perfection. C'est très troublant. Je le dévisage sans détour, étonnée par ma propre effronterie. Assez grand et athlétique, ses cheveux mi-longs couleur de nuit tombent nonchalamment devant ses yeux semblables à deux lacs d'or où brilleraient des étoiles d'émeraude, soulignant la pâleur de sa peau. Je me perds dans ses prunelles hypnotiques jusqu'à ce que Gaby pousse son compagnon du coude, arrachant son regard au mien. Je secoue la tête, comme sortant d'une rêverie particulièrement profonde.

Toujours très troublée, je reporte difficilement mon attention sur Gabriel qui jette un coup d'œil à faire frémir un mort au jeune homme qui l'accompagne.

- Angi, je suis désolé pour mon retard, j'ai rencontré quelques... complications en chemin.

Pour tout avouer, ses quelques minutes injustifiées m'étaient totalement sorties de l'esprit... Je ne comprends pas ce qui m'arrive, mais la présence de cet étranger semble occulter tout le reste. J'invite les deux hommes à entrer et referme prestement la porte derrière eux.

Une fois installés au salon, je dévisage une nouvelle fois l'ami de Gaby. Il émane de lui une beauté farouche, une douceur mortelle, comme une assurance dangereuse. Une chose est sûre, ce qu'il dégage n'a rien de naturel. Je retourne toute mon attention sur Gabriel.

- C'est qui ce type ? dis-je froidement.

Mon ami lui lance à peine un regard avant de me répondre.

- Il est celui qui détient sans doute une grande partie des réponses à tes questions.

- Et n'a-t-il pas de nom ?

L'inconnu reste silencieux, me dévisageant de haut en bas sans gêne. Il semble presque choqué. Choqué et amusé.

- Non, il n'a pas de nom. Ou tout du moins, tu n'as pas besoin de le savoir, lâche finalement Gaby en lançant un nouveau regard d'avertissement à son compagnon.

- Tu as conscience que cette réponse ne me satisfait pas du tout ?

Il hoche gravement la tête mais ne dit rien de plus. Bon. J'ai appris à reconnaître les combats perdus d'avance, et il me semble que c'en est un. Gaby ne dira plus rien concernant cet étrange inconnu.

- Très bien, tant pis pour son nom. Maintenant, je veux savoir ce qu'est cette chose sur mon bras et pourquoi tu ne veux rien me dire là-dessus depuis son apparition, dis-je en remontant la manche de ma chemise pour faire apparaître aux yeux des deux garçons la marque angoissante.

Gaby grimace en posant le regard dessus, mais la réaction de l'inconnu est toute autre et me fait frissonner de la tête aux pieds. Il écarquille les yeux et éclate de rire. Pas le rire d'un être heureux. Celui d'une créature brisée et maléfique. Un rire d'outre-tombe qui promet malheur et désespoir.

- Pourrions-nous connaître la cause de cette hilarité, monsieur ? dis-je en forçant sur ma voix afin de passer au-dessus de son rire sans joie.

Son fou rire semble se calmer au son de ma voix, même s'il est encore secoué de soubresauts amusés.

- Dis-nous ce que tu sais ou tu ne me sers plus à rien, glisse finalement mon ami à l'inquiétant personnage assis à ses côtés.

L'inconnu se contente de sourire en silence, son regard non plus amical mais bien glaçant passant de la marque sur mon poignet à mon visage. Finalement, après un long, très long moment d'un silence pesant, il se décide à ouvrir la bouche.

- Il faut croire que ta petite protégée va rejoindre les miens plus vite que je ne le pensais, "Gaby".

Il insiste sur le surnom de mon meilleur ami comme pour se moquer de lui, mais Gabriel ne semble pas s'offusquer de ce léger manque de respect, bien qu'il n'ait pas l'air de porter cet individu dans son cœur. En faite, il a plutôt l'air effrayé par une vérité horrifiante.

- Gaby, qu'est-ce qu'il veut dire ?

Mon ami reste silencieux tandis que l'autre répond d'une voix sûre et amusée :

- Ce que je veux dire, très chère, c'est que ce pentacle te condamne à mort.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant