XXVI- Le Sanctuaire

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Angélique


Je reste bouche bée devant le spectacle qui s'offre à mes yeux. Là où, quelques secondes seulement auparavant, ne se dressaient qu'une armée de rochers et des colonies entières de poussières et de cendres, se révèle désormais un paysage accueillant, vibrant de vie et de verdure.

Partout autour de moi, une herbe tendre pousse aux pieds d'arbres millénaires dissimulant un ruisseau dont l'eau clair chante quelques pas plus loin en chutant du haut d'une cascade où pépient joyeusement des oiseaux multicolores. Ce paysage enchanteur s'étend à perte de vue, me laissant doucement oublier la mort qui rode partout derrière les barrières protectrices. Au creux d'un petit vallon se dresse une cabane de bois dont le verni sombre se confond avec l'ombre du sous-bois frais et rassurant.

Presque sans que je ne m'en aperçoive, j'avance de quelques pas dans ce monde si parfait qu'il en parait irréel, oubliant la présence des deux immortels derrière moi. En ce lieu idyllique, je me sens revivre, comme si une chose toute nouvelle s'éveillait au plus profond de mon âme pour venir rajeunir mes cellules et me faire me sentir... vivante... vivante et libre. Comparé à ce que je ressens en ce sanctuaire, ma vie d'avant me parait fade et sans couleurs, ennuyeuse et dépourvue de tout ce qui fait que la vie est la vie. Je m'agenouille au sol, plongeant mes mains dans l'herbe humide de rosée. Sous mes paumes, je perçois à nouveau ce battement puissant et régulier. Le cœur de la Terre-Mère.

Je sens des larmes de bonheur glisser le long de mes joues sans que je ne cherche nullement à les retenir. Tout autour de moi s'égaillent des animaux que je n'avais vu que dans les livres, toutes sortes de créatures et d'essences d'arbres vivants aux quatre coins du monde sont ici regroupées, évoluant en communauté dans le respect et la paix.

- Cet endroit est le seul morceau de l'Eden qui soit resté sur Terre après la trahison de Lilith il y a des siècles de cela... m'apprend alors Gabriel qui m'a rejointe. Le Père avait décidé que les descendantes de sa fille avaient droit au paradis terrestre malgré la séparation du paradis et de la Terre.

Alors c'est à ça que ressemble le Paradis... Je n'ai aucun mal à le croire, d'ailleurs, je ne l'imaginais pas autrement. Je n'ai jeté qu'un coup d'œil à cet endroit hors du temps, et pourtant, je suis déjà ici comme chez moi, voulant y rester pour couler des jours heureux jusqu'à ce que le néant m'entraîne vers un Paradis plus inaccessible encore que celui-ci.

- Alors c'est à ça que ressemble la vie après la mort ? demande-je innocemment.

Mon ami secoue doucement la tête, lui aussi sous le charme de cet endroit qui doit lui rappeler son pays natal.

- Non, toutes les âmes n'ont malheureusement pas accès à l'Eden une fois leur temps sur Terre révolu. Certaines, jugées trop irrécupérables ou trop perverses sont reléguées vers les Enfers où ils "vivent" une après-mort plus à leur convenance au milieu de celles qui leur ressemblent. Les "immortels", tels que les anges, archanges, démons ou archi-démons qui meurent au combat ou suite à leurs blessures sont tout simplement effacés dans les limbes, un endroit hors du temps et hors de tout contrôle où plus rien n'existe. Ces âmes-là ne pourront jamais se réincarner.

Il marque une courte pause avant de poursuivre.

- Les âmes des Filles de la Terre sont dans le même cas, dit-il en plongeant son regard azuré dans le mien.

Je hausse un sourcil, étonné et déçue, mais également un peu effrayée.

- Pourquoi ça ?

- Tout simplement pour qu'il ne puisse pas y avoir deux Filles de la Terre aptes à se battre au même moment en ce monde. Imagine un instant une armée de tes semblables dont les âmes auraient été ramenées ici-bas et enchaînées à leur corps. Elles seraient contrôlées par un être quelconque qui pourrait se servir d'elles pour détruire la Création.

- Attends, attends, attends, tu veux dire que la résurrection est possible ? Je veux dire, si on n'est ni immortel ni Fille de la Terre, on pourrait ramener à la vie n'importe qui, homme ou femme, bon ou mauvais ?

- Bien entendu. Seulement, l'âme serait enchaînée, et donc l'être tel qu'il était connu de son vivant ne reparaîtra jamais vraiment. Son âme étant soumise au bon vouloir de son "bienfaiteur", son libre-arbitre serait totalement effacé. L'être ne serait plus qu'une coquille vide, une machine dressée à obéir. Sans oublier que la résurrection demande une dépense d'énergie considérable pour le fou qui tente l'expérience.

Un frisson me parcours le corps.

- Je comprends...

Soudain, un souvenir récent me revient en mémoire.

- Dis, maintenant que je suis arrivée ici saine et sauve, tu vas vraiment rendre à Fenris son immortalité ?

Mon ami baisse la tête, visiblement soucieux et regrettant visiblement son pacte.

- Ce sont les termes du contrat. Je ne peux plus rien y changer. Dès demain, il sera de nouveau immortel. Il pourra se battre contre Jormungand et Hel et espérer vaincre, gagnant ainsi sa liberté sans conditions.

Je recule d'un pas, scandalisée.

- Quoi ? Tu lui as réellement offert la liberté sur un plateau d'argent ?!

Il soupire profondément.

- Je n'avais pas vraiment d'autre choix. J'ai besoin qu'il affaiblisse suffisamment ses cadets pour pouvoir avoir l'espoir d'éventuellement les vaincre. Si jamais nous réussissons, Fenris sera libre comme l'air... et moi aussi.

Je fronce les sourcils.

- Comment ça, "toi aussi" ?

- Tant qu'il est notre prisonnier, je n'ai pas le droit de le tuer, excepté s'il représente un danger important pour ma mission. Mais s'il recouvre sa liberté, il redevient un ennemi, un monstre à abattre à tout prix, et j'aurais le droit d'en finir une bonne fois pour toutes avec lui.

Je suis toujours aussi perdue.

- Mais vous êtes immortels tous les deux ! Ce serait un combat sans fin ! Vous vous battriez jusqu'à ce que l'un d'entre vous finisse par manquer de pomme d'or et hop, victoire au moins gourmand ? C'est une plaisanterie ?

Il secoue la tête en souriant tandis que nous avançons plus profondément dans la forêt luxuriante qui habille cette terre.

- "Immortel" n'est rien qu'un mot. Personne n'est réellement immortel. Personne ne peut survivre avec une tête en moins, un cœur empalé ou un corps réduit en cendres. Comment crois-tu que les anges et les démons s'entredéchirent depuis tout ce temps ? La société nous a toujours offert la possibilité de régler nos comptes. Au Moyen-Âge, une simple accusations de sorcellerie conduisait l'accusé au bûcher et le problème était résolu. Aucun immortel ne résiste à la morsure du feu. Les exécutions publiques ont suivies, puis la Révolution et la fameuse guillotine... Une invention remarquable d'un démon qui à lui-même goûté à son œuvre. Bien sûr, chaque camp y allait de sa petite accusation, les anges dénonçant les démons et les démons accusant les anges.Ces périodes sombres furent suivies de grandes guerres, de meurtres et autres petites choses qui font le gagne-pain de vos journaux et le quotidien de nos légions.

Je suis un peu déroutée par ce que je viens d'apprendre. Alors comme ça, l'immortalité, c'est très surfait... Bon, après tout, être condamné à vivre l'éternité pour s'entretuer à jamais, ça doit pas vraiment être la joie tous les jours.

C'est alors que je remarque un petit détail glaçant.

- Une seconde, dis-je en jetant des regards un peu affolés autour de moi, où est passé Fenris ?

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Where stories live. Discover now