Angélique
C'est si calme...
Cette pensée est la première qui me vienne à l'esprit lorsque je sors du taxi qui me ramène chez moi.
Rien n'a changé. Le petit portillon en bois est toujours aussi bancal et la peinture écaillée mériterait une nouvelle jeunesse pour services rendus. Le jardin est impeccablement entretenu et la pelouse a été tondue il y a peu. Les volets sont ouverts, de même que les fenêtres, et j'entends de la musique s'écouler de l'intérieur de la maison. Ma mère chantonne une vieille chanson jazzy.
Mistral, mon berger australien, est en train se chasser Grisouille, le chat de la voisine, ce qui doit être sa deuxième activité préférée après la dégustation des poubelles du quartier.
Ici, pas de guerre, pas de vent violent ni de monstres assoiffés de sang. Pas d'archange. Pas de démon. Seulement la vie quotidienne d'une famille banale dans un quartier tranquille d'une ville sans histoire perdue entre deux cols montagneux.
Je pousse le portillon grinçant et entre sur le terrain. Aussitôt, Mistral se détourne de sa proie et file à toute allure vers moi en aboyant aussi fort qu'il le peut. Dès qu'il arrive à ma hauteur, il me saute dessus à pleine vitesse, si bien qu'il me renverse au sol avant de me débarbouiller à grands coups de langue baveuse.
- Mistral ! Arrête idiot, tu vois bien que je suis de retour, pas la peine de me noyer !
Je le repousse gentiment tandis qu'il sautille joyeusement autour de moi tout en jappant de bonheur. J'adore ce chien.
Attiré dehors par les aboiements de cet imbécile de quadrupède sans cervelle, Tim, mon petit frère, glisse la tête en dehors de la maison. Dès qu'il croise mon regard, un large sourire s'affiche sur son visage et il me saute à son tour dans les bras.
- Angi ! Tu m'as manqué, grande sœur ! J'ai cru que tu reviendrai plus jamais !
Je ris tout en serrant mon petit frère dans mes bras.
- Tout va bien, Tim. Désormais, je ne bouge plus d'ici. Promis.
Arrivent alors mon père et ma mère qui me sourient avec soulagement avant de nous rejoindre, Tim et moi, pour un câlin collectif.
- Pourquoi t'étais partie ? me demande innocemment mon frère alors que nous nous séparons enfin.
Je jette un regard discret à mes parents. Ils savent que je suis partie pour une bonne raison, mais ne savent pas laquelle. Gabriel a dû leur expliquer rapidement, mais ils ne savent rien de la véritable nature de mon ami. Ni de la mienne. Et étrangement, je n'ai aucune envie de le leur dire. Ces deux semaines n'appartiennent qu'à moi. A moi et quelques immortels, tout au plus.
- J'avais des affaires urgentes à régler, mais maintenant, tout va bien, dis-je en me forçant à sourire.
Nous finissons par tous retourner à l'intérieur. L'air embaume les cookies fraîchement sortis du four et mon estomac se rappelle à mon bon souvenir.
Nous nous installons à table, mais j'ai beau avoir une faim de loup, je grignote à peine un biscuit, perdue dans mes pensées.
Après que Fenris ne se soit empalé sur l'épée de Gabriel, tout m'a semblé se dérouler à la vitesse de l'éclair, comme si mon esprit avait été trop lent pour analyser les événements. Dès que le corps du démon avait touché le sol, l'âme d'Eden avait quitté mon corps, suivie de près par toutes les autres. Sur le coup, je me suis sentie vidée et je n'ai pas compris tout de suite ce qu'il m'arrivait. Puis finalement tout m'est apparu clairement : Fenris était mort, Eden n'avait donc plus à l'attendre. Le combat pour la survie de la Terre était terminé, les âmes de mes ancêtres n'avaient plus à m'apporter leur soutien.
Mais dans le même temps, Gabriel avait créé une sorte de bulle pourpre autour de Fenris. D'après ce qu'il m'a expliqué, il s'agit d'un sortilège d'emprisonnement empêchant l'âme du démon de quitter définitivement son corps, un peu comme le sortilège d'entrave qu'Eden avait conçu pour sa propre âme. Après cela, il a ordonné à ses troupes et à ses frères de rester sur place alors qu'il emportait le corps inanimé de Fenris au loin. Même moi, je ne sais pas où il l'a emmené.
A son retour, il m'a prise dans ses bras et s'est envolé si vite qu'il m'était difficile de respirer. Il m'a déposé à la gare et m'a simplement donné un billet pour rentrer chez moi, sans remerciements ni explications. Il est juste parti, sans un regard en arrière.
- Angi, tu m'écoutes ?
La voix de ma mère me fait revenir brutalement au moment présent.
- Quoi ? demande-je, un peu déboussolée.
- Je voulais savoir comment s'était passé ton voyage.
Je garde le silence un moment, luttant contre les larmes qui bataillent pour s'écouler librement sur mes joues.
- Disons qu'il avait tout d'un voyage initiatique. J'y ai appris beaucoup de choses, des bonnes, des mauvaises, mais je ne regrette pas d'y avoir participé.
Ma mère semble satisfaite de ma réponse et je la remercie silencieusement de ne pas plus creuser le sujet.
Je ne sais même pas si Fenris a finalement survécu, s'il est vivant quelque part sur le globe, s'il a retrouvé ses pouvoirs, ni même s'il a encore quelques capacités surnaturelles. Quant à Gaby, je n'ai plus de nouvelles depuis cinq jours. Nous qui nous appelions au moins une fois par jour, cette absence me pèse désormais. J'ai une foule de questions sans réponse, comme toujours. Le Père lui a-t-il pardonné son écart de conduite ? A-t-il été rétrogradé ? Emprisonné ? Tué ? Je n'en ai aucune idée et le doute me ronge.
Soudain, on toque à la porte. Je me redresse d'un bond, mains tendues, prêtes à invoquer un sortilège, avant de me souvenir de l'endroit où je me trouve.
Il n'y a pas de danger ici. Je baisse les bras précipitamment sous le regard interrogateur de Tim. Je lui offre un pauvre sourire avant de passer la tête par l'embrasure de la porte, curieuse de savoir qui peut bien venir frapper à cette heure.
Finalement, c'est simplement Arnaud, le voisin bedonnant de la rue d'en face qui est en panne d'œufs. Rien d'incroyable, ce type est constamment en manque de quelque chose.
Je retourne à la cuisine et m'affale sur ma chaise en soupirant. J'avais oublié combien ma vie était monotone avant toute cette incroyable histoire. Maintenant que je sais ce que je suis et de quoi je suis capable, je me sens à l'étroit dans cette vie qui est la mienne.
Sans compter que dès demain, il me faudra retourner en cours, répondre aux questions de mes amis, de mes profs, de tout le monde... Et moi, qui répondra à mes questions ?
Sans un mot de plus à ma famille, je rejoins la chambre. En poussant la porte recouverte de dessins en tous genre, je me fais la réflexion que cette chambre a dû rétrécir pendant mon absence.
Je m'écroule sur mon lit, le cœur en panne, la tête vrombissante de questions sans réponses.
Je glisse doucement dans un sommeil peuplé de rêves étranges où un ange blond soutient un démon brun contre vents et marées.
YOU ARE READING
Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]
ParanormalLa Terre se meurt. Les mortels n'y pourront rien. Manipulés ou par les Archanges, ou par les Démons, les mortels ne sont que des marionnettes entre les mains d'immortels. Mais une jeune femme pourrait bien changer la donne... Angélique, une jeune fi...