Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]

XXXII- Un sacrifice nécessaire

Eden -flashback-

L'aube est encore loin et la fraîcheur du soir perce à travers la fenêtre ouverte de notre chambre. Lovée entre les bras de mon amant démoniaque, la chaleur de sa peau peinant à réchauffer mon corps mais réchauffant sans peine mon âme, je m'interroge. Bien entendu, Fen sent la tension gagner mon corps et le doute m'assaillir.

- Eden, dis-moi ce qui te tracasse.

Sa voix profonde résonne comme une douce musique à mes oreilles.

- Je m'interroge simplement sur mes choix.

Il s'écarte doucement de moi pour plonger son regard interrogateur dans le mien. Face à ses questions silencieuses, je m'efforce de clarifier mon propos.

- J'ai choisi de ne rejoindre aucun des deux camps. Ainsi, je nous condamne à une vie de reclus, une vie constamment à l'affut d'un potentiel danger, et je te condamne à oublier tes rêves de conquête et de pouvoir.

Il sourit, amusé.

- Eden, tu es la seule à peupler mes rêves, désormais.

Je souris à mon tour, flattée et heureuse.

- Non, Fen, tu ne comprends pas, j'ai peur de nous avoir tous les deux précipités dans la tombe en refusant les propositions des deux partis.

Il secoue doucement la tête, ses fines mèches brunes tombant devant ses yeux d'or.

- Si tu avais choisi un camp, tu te serais condamnée. En refusant les deux options, tu t'assures une vie non pas paisible, mais au moins libre. Ton âme n'a pas à s'enchaîner à un pacte. Tu es ce que tous désirent, là, dehors. Tu as le pouvoir de mettre à genoux le moindre d'entre eux par ta simple présence. Sans attaches, tu pourras faire ce que bon te semble sans avoir à en subir les conséquences. Ta liberté est ton arme la plus puissante.

Je hoche doucement la tête tout en réfléchissant. Il a parfaitement raison. Depuis des millénaires, les Filles de la Terre se lient à un camp ou à l'autre. Je suis la première à me refuser aux deux pour des raisons évidentes. En Enfers, je serais forcée de détruire cette Terre que j'aime tant, au Paradis, je serais forcée d'être l'ennemie de celui que j'aime plus que ma propre vie.

- Ne penses pas à ce que tu aurais pu faire. Tu as fais un choix que tu te dois désormais d'assumer. Je ne peux pas prédire l'avenir, mais je t'assure que garder une liberté absolue est le meilleur moyen de rester en vie.

Si nous avions su...

- Ne t'en fais pas, Eden, je te protégerai, je t'en fais le serment. Personne ne te touchera tant que je serai en vie.

Je lui souris tout en caressant la peau lisse de son visage si parfait.

- Je t'aime, Fen...

Il prend ma main dans la sienne et y dépose un doux baiser. Je me rendors dans ses bras tandis qu'il me murmure son amour.

A l'aube, je retrouve les draps froids et vides. Fen est partit. Je me lève à toute vitesse et dévale les escaliers. Il n'est pas à l'intérieur, ma magie ne détecte pas sa présence. Je file dehors, mes pieds nus s'enfonçant dans l'herbe humide de rosée matinale. C'est alors que je le vois. Fier, majestueux, debout au sommet de la petite colline où nous avons passé tant de temps, il a revêtu son armure composée de plaques noires, celle qu'il portait lors de notre périple à travers le monde. Ses ailes sombres chassent doucement l'air derrière son dos tandis que son regard d'or brûle de détermination. Je m'approche de lui pour finalement voir ce qui le pousse à s'armer ainsi.

Nous sommes encerclés. Les démons sont partout autour du Sanctuaire, prêts à s'attaquer à la barrière protectrice, prêts à offrir leur vie sans regrets pour satisfaire la soif de pouvoir de leurs souverains. Dominant la scène, une belle jeune femme aux yeux sombres et aux courbes généreuses se tient bien droite sur son trône fait d'ossements, son armure de pierres précieuses rutilante en cette aube nouvelle déjà rouge sang.

Face à eux, un seul homme. Fenris, celui que mon âme à choisi, celui que j'ai choisi. Pour l'éternité.

La suite, vous la connaissez. Nous nous battîmes pour notre liberté, pour notre amour, pour la vérité. Mais le monde n'apprécie guère une vérité qui dérange et préfère de loin un mensonge éhonté.

Comment croire qu'un démon puisse aimer ? Comment croire qu'une Fille de la Terre refuse de s'allier à un camp ? C'est simple : elle a été charmée par un démon sans scrupule. Affaire classée.

Mais la vérité est bien plus belle et tellement plus dramatique...

Il fut blessé. Si gravement que j'ai crains que jamais il ne se relève, que jamais son rire n'égaye mes journée, que jamais plus il ne me fasse rêver par un simple regard.

Je signais le pacte. Je me condamnais. Et j'en étais heureuse. Car après tout, à quoi bon rester libre si ma liberté ne sert qu'à pleurer celui que mon âme chérissait ?

Fen l'a apprit. J'ai ressenti sa douleur. Ce n'était plus son corps qui le tourmentait, c'était son âme. Il souffrait de me savoir sacrifiée sur l'autel du pouvoir et de la haine.

Puis je fus touchée au cœur par une flèche tirée de la main de celui que je pensais être mon ami. Je m'effondrais dans les bras de celui que je savais être mon âme-sœur. Mes derniers mots furent les siens, mes dernières pensées furent pour lui, mais aucun regret ne vint entacher mon âme. Je partais en paix, fière d'avoir pu le sauver. Lorsque mon âme quitta mon corps, je restais quelques instants près de lui, tentant de lui faire savoir que la douleur était partie, que je l'attendais et que je l'aimais. Puis je fus happée par le sortilège d'ancrage que j'avais posé. Depuis, mon âme attend la sienne pour enfin rejoindre les limbes et le repos éternel.

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(pdv d'Angélique)

J'ôte ma main de la pierre froide et croise à nouveau le regard éthéré d'Eden. Elle sourit toujours gentiment, sagement.

- Désormais, tu sais quel choix je fis et quel fut mon destin. L'histoire se répète. A toi d'en changer le cours. Les immortels te protégeront. Gabriel te prendra sous son aile si tu rejoins l'Eden, les hordes démoniaques se battront pour toi si tu rejoins les Enfers. Mais n'attend aucune aide de la part de Fen si jamais tu venais à choisir l'un ou l'autre des camps. De toute façon, il devra se battre contre Jormungand et Hel, car tel est le pacte qu'il a conclu avec l'archange.

Sa voix semble s'éloigner de moi.

- Choisis selon ton cœur, les autres ne pourront pas vivre ta vie, alors à toi d'imposer ta décision et de prendre le chemin qui te parait le plus sage.

Puis elle disparait, son image fantomatique emportée par la faible brise qui écarte doucement les cheveux de mon visage, comme une caresse.

C'est alors que je sens quelque chose pulser de plus en plus fort en moi. Tout mon corps se met à ressentir le moindre brin d'herbe, la moindre feuille, le pas le plus discret du plus petit des animaux de cette forêt. Déboussolée, je prends appuis sur un chêne. A travers l'écorce de l'arbre, je sens la sève couler en flot abondant, j'entends le vent chanter dans ses branches, je ressens ses racines dans la terre...

- Mais qu'est-ce qui m'arrive... souffle-je, paniquée par ce qui s'offre à moi sans que je ne puisse rien contrôler.

- Ne t'en fais pas, je t'apporterai mon aide et mes connaissances pour le combat qui s'annonce... résonne doucement la voix d'Eden dans mon esprit.