XXXIII- L'heure du choix

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Angélique


Lorsque je rejoins enfin mes deux compagnons immortels, la lune est déjà haute dans le ciel. La journée est passée bien plus vite que n'importe quelle autre. Maintenant que les connaissances d'Eden me sont accessibles, je comprends mieux tout ce qui m'entoure et je maîtrise mieux ce qui dormait encore en moi ce matin.

Je suis prête.

Ni Gaby ni Fenris ne me pose de questions, pas une seule remarque sur le choix qui sera bientôt le mien. Leur patience m'impressionne, à leur place, je serais une véritable teigne. Je regagne la maisonnette où je vérifie chaque couverture de livre. Dès qu'un titre n'a pas de résonance en moi, je le lis intégralement. Peu d'entre eux ont échappé à l'oeil avisé d'Eden, mais les quelques nouveaux titres restent importants et intéressants. Je me dois d'être au meilleur de mes capacités demain matin.

Je dors très peu, passant le plus clair de mon temps à lire et apprendre, tester et recommencer sous les regards protecteur pour l'un et amusé pour l'autre de Gabriel et Fenris.

Lorsqu'enfin l'aube pointe, je sais que l'heure est arrivée pour moi de faire un choix. La marque apposée sur mon poignet par le premier démon que j'ai croisé il n'y a qu'une semaine de cela pulse douloureusement.

En me levant, je me dirige tout naturellement vers une pièce dans laquelle je ne suis encore jamais entrée. La voix d'Eden me souffle que ce qui s'y cache me sera d'une grande aide, et je lui fais totalement confiance.

A l'intérieur de cette pièce, des vêtements de toutes les tailles, de toutes les couleurs et de toutes les époques. Et au centre, une armure légère bleu et or. Je penche la tête sur le côté, peu tentée par la chose.

- Tu veux vraiment que je porte un truc pareil ? demande-je à la petite voix d'Eden qui me répond immédiatement.

"- Bien entendu, c'est la tenue officielle des Filles de la Terre. Cette armure te protégera et augmentera ta puissance. Elle te sera indispensable, crois-moi."

Je finis par accepter l'inévitable et enfile l'armure avant d'empoigner ce qui ressemble furieusement à un sceptre. A son somment brille une pierre blanche aux reflets bleutés qui semblent courir sous sa surface.

Ainsi arnachée, je rejoins les deux immortels qui ne paraissent pas plus choqués que cela par ma tenue. Bon, j'imagine qu'ils en ont vu d'autres, mais pour ma part, c'est ma première fois en armure ! Un sentiment de fierté m'envahit soudain. J'ai l'impression d'être l'héroïne d'un roman épique qui va livrer une bataille mémorable pour le bien commun. Mais pour ce que j'en sais, mon destin est peut-être déjà écrit depuis longtemps.

- Tu as fait ton choix ? me demande Gaby sans plus de cérémonies.

Je hoche doucement la tête tandis qu'un sourire serein fleurit sur mes lèvres.

- Et sur quel camp se porte-t-il ? insiste-t-il, attendant une réponse plus argumentée qu'un simple hochement de tête accompagné d'un sourire mystérieux.

Je relève doucement la tête et croise le regard des deux immortels. Gabriel attend ma réponse avec espoir, tandis que Fenris semble attendre le début des hostilités avec espoir. Deux êtres que tout oppose.

- J'ai longuement réfléchis, et c'est ce matin, à l'aube de la fin du monde que je comprends enfin la véritable essence de la Création.

Mes deux compagnons échangent un regard interrogatif avant de reporter leur attention sur moi, attendant sans doute des explications.

- Vous, toi le Bien et toi le Mal, vous avez façonné ce monde au fil des millénaires. Le Père fut le premier, puis vint Lilith, puis de nouveau le Père... La Création est autant celle du Bien que celle du Mal, et elle n'appartient plus aux dieux depuis bien longtemps maintenant. Non, désormais, la Terre appartient aux humains, des êtres imparfaits, sujets au doute, à l'amour, à la jalousie, au pardon...

Gabriel me regarde avec incompréhension tandis que Fenris semble captivé par mon discours.

- Rappelez-vous que, avant d'être une Fille de la Terre, je suis une humaine. Une humaine avec des forces et des faiblesses, des moments de doute et des instants de courage. Alors en tant qu'humaine, il m'est impossible de choisir entre le Bien et le Mal, car ces deux entités font partie intégrante de mon être. Je pourrais m'efforcer de servir le Bien, de chercher à atteindre la perfection, mais j'en serais malheureuse, car je brimerais quelque chose en moi, de même que si je rejoignais le Mal. C'est pourquoi je refuse de scinder mon âme en deux.Je suis la dernière Fille de la Terre, et en tant que telle, mon devoir est de suivre ce que me dit mon coeur. Et cette fois, je l'écouterai. Je resterai libre, sans attaches, indépendante.

Inconsciemment, je pose mon regard sur Fenris.

- Car ma liberté est mon arme la plus puissante.

Le démon tressaille à ces mots et semble chercher quelque chose dans les profondeurs de mon regard. Un long silence s'installe, brisé quelques minutes plus tard par Fenris qui semble s'être reprit en mains.

- Eh bah, on peut dire que tu n'as pas froid aux yeux. Et on peut savoir ce qui t'a poussé à en arriver à une telle décision ?

Je hausse les épaules, un sourire aux lèvres.

- J'imagine que je ressemble plus qu'il n'y parait à ma grand-mère.

C'est au tour du prince des Enfers de sourire. Soudain, un douleur cuisante me brûle le poignet, à l'endroit exact où se trouve la marque apposée par le démon de l'autre jour. Le sceau n'est plus d'un noir d'encre mais d'un rouge flamboyant, comme si des flammes couraient sous ma peau. Les flammes des Enfers, sans doute.

En un instant, Gaby et Fenris sont près de moi et observent l'étrange marque. Le démon prend mon poignet dans sa main droite et passe sa main gauche à quelques centimètres au-dessus du sceau. Je ressens un petit picotement agréable qui apaise un peu la douleur.

- La magie curative d'un démon n'est pas éternelle. D'ici cinq minutes, tu seras de nouveau en proie à une douleur qui ne fera que croitre, m'explique Fenris.

- Pourquoi le sceau devient-il douloureux à cet instant précis ? demande à juste titre Gabriel.

- Parce que les Enfers veulent la réponse à leur question. Et elle a plutôt intérêt à être positive, sinon ils attaqueront et ce sceau t'empêchera d'user de toute ta puissance.

Je fronce les sourcils d'incompréhension.

- Comment ça ?

- Ce sceau a été apposé alors que tu ignorais tout de ta véritable nature. Ta puissance était donc endormie et bien loin de son apogée. En résumé, tu ne peux avoir accès qu'à ta force de base, rien de plus. Tu peux voir le passé, frapper d'épuisement un ennemi et deux ou trois autres petits tours de passe-passe, mais tout le reste t'es inaccessible.

J'écarquille les yeux tandis que Gabriel presse Fenris d'en dire plus.

- Et comment peut-elle briser ce sceau ?

Le démon réfléchis un instant avant de finalement donner sa réponse.

- Elle doit être capable de faire éclater le maléfice en surpassant le degré de puissance que le sceau est capable de maîtriser.

- Un peu comme le pendentif qui enchaîne ta propre puissance ? demande-je innocemment.

Il me lance un regard acéré avant de hocher la tête.

- C'est exactement ça.

- Mais tu viens de dire que ma force était à son minimum ! Comment pourrais-je dégager une puissance suffisante pour me libérer ?

Il pose alors sur moi un regard empli d'assurance.

- Rappelle-toi que tu es loin d'être seule dans cette histoire.

"-Il a raison..." chantonne la voix d'Eden dans un coin de mon esprit tandis que sa propre magie fait courir de petits filaments bleutés le long de mes doigts.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Where stories live. Discover now