XLII- Lorsque se réveille la Bête

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Gabriel


Le Prince des Enfers se tient fièrement devant ses deux cadets à genoux, sa simple présence devenant presque insupportable tant sa puissance rayonne et fait vibrer chaque molécule de chaque être.

Finalement, alors que Hel reprend graduellement conscience sous le regard impénétrable et profondément froid, presque indifférent de son frère aîné, la jeune femme aux yeux bleu pâle prend enfin la parole, sa voix fluette et faible soufflée par le vent mordant qui se lève brutalement.

- Mon frère, tu nous as vaincus au cours d'un combat loyal, nous sommes désormais tes obligés et nos vies t'appartiennent.

La succube de glace relève alors son regard suppliant vers Fenris, croisant enfin les pupilles vides d'émotions du démon brun.

- Laisse-nous te servir pour l'éternité. Nous te serons loyaux et dévoués j'en fais le serment. Je le jure sur l'éternité, la mort et les Enfers.

Soit les trois choses auxquelles elle tient le plus au monde. Elle lui fait cadeau de sa vie sans condition. S'il accepte, il s'offrira les services éternels de deux démons d'une puissance bien supérieure à tout ce que j'avais pu voir jusqu'alors.

Toujours de marbre, le Prince des Ténèbres s'avance jusqu'à faire face à sa cadette. Il s'accroupie pour être à sa hauteur et pose délicatement sa main sur la joue de Hel qui laisse échapper un frémissement de ce qui ne peut être que de la peur. Une peur profonde, ancrée au fin fond des gènes de tout être vivant, cet instinct qui sait précisément quand nous sommes devant une bête fauve et affamée malgré tous les déguisement que ladite bête peut prendre.

Affichant un sourire fin et sans joie, Fenris s'adresse finalement à sa soeur, lui susurrant ses paroles à l'oreille tout en attrapant le menton de la jeune femme d'une poigne de fer.

- Ma puissante petite soeur, dit-il doucement, si fière, si indomptable... Te voilà désormais à mes pieds, me suppliant à demi-mots de te laisser la vie sauve.

Il s'éloigne légèrement d'elle, gardant toujours son visage prisonnier dans ses mains, la forçant à le regarder dans les yeux.

- Mais tu semble oublier un léger détail, ma soeur...

Hel essaye du mieux qu'elle peut de dissimuler les tremblements incontrôlés qui secouent son corps. Elle se sait à la merci de ce frère qui la hait, seule face à ce monstre qui se révèle à ses yeux. Le prince déchu, le démon bafoué et exilé à laissé la place à un monstre assoiffé de vengeance et de mort. Hel voit cet être tel qu'il est vraiment pour la première fois, et ce qui s'offre à ses yeux ne lui fait visiblement pas plaisir. Faisant fi de la terreur grandissante de sa cadette, Fenris reprend son explication.

- Tu oublies que tu as tenté de me tuer, de m'écarter du trône et de sauver ce cloporte que tu appelle ton frère, souffle-t-il calmement, le regard éteint, comme un automate, ses gestes guidés uniquement par la vengeance qui hante chacun de ses pores.

- Je t'en prie, mon frère, tente de se défendre la succube de glace.

- Que ce soit bien clair, Hel, vos deux vies ne valent rien. La seule chose qui vous rende un temps soit peu amusants, ce sont vos pouvoirs, reprend l'Héritier, arborant toujours ce calme glaçant.

Soudain, sans que rien ne le laisse prévoir, il attrape violemment la jeune femme par la gorge, si violemment en vérité que j'ai eu un instant peur qu'il ne la brise. Il se penche à nouveau à son oreille, lui glissant des mots que je ne parviens pas à entendre. C'est alors que la magnifique succube se fige, comme si une douleur si cuisante la frappait que même son corps en serait paralysé.

Une étrange brillance filtre à travers les doigts de Fenris toujours serrés sur la gorge de sa soeur. Une lumière sombre quitte le corps de Hel en petits filaments brillants pour gagner celui du Prince des Ténèbres qui, les yeux clos, semble s'en délecter.

Je reporte le regard sur Hel.

Par le Père...

La magnifique jeune femme a laissé la place à une vielle dame fatiguée et totalement dépourvue de ce charme propre aux envoûteurs que sont les démons. Pour la première fois depuis toujours, je vois le véritable visage d'un démon. Hel est désormais une femme aux portes de la mort, paraissant âgée de quatre-vingt-dix ans environ. Son âge véritable.

Fenris la lâche sans ménagement au sol et elle s'effondre dans un craquement sinistre. Puis, sans sourciller ni se soucier de sa sœur agonisante, le prince démoniaque se dirige vers son frère qui tente de reculer, d'échapper au sort qui est le sien. Le démon brun bloque toute retraite à Jormungand qui essaye alors de se défendre, espérant pouvoir s'attirer peut-être les bonnes grâces de son aîné s'il montrait encore assez de combativité. Fenris écarte négligemment le faible sortilège lancé par le démon-serpent et attrape également ce dernier par le cou sans difficultés, si bien que ce sont bientôt deux vieillards qui gisent aux pieds de l'Ange de la Mort.

Soudain, je comprends ce qu'il vient de faire. Il a volé à ses cadets non seulement leur vie éternelle, mais aussi leurs pouvoirs.

La vérité me frappe comme une masse. Désormais, ce démon possédant une puissance hors du commun vient d'engranger la force de ses cadets, leur résistance et leur savoir occulte. Il est à partir de ce jour tout à fait capable de s'attaquer à ses géniteurs. S'il les vaincs, ce qui est à peu près certain, il aura alors assez de puissance pour s'en prendre au Père... et de parvenir à s'en sortir vivant !

L'obscurité surnaturelle qui s'est abattue sur le monde depuis la libération du monstre semble s'épaissir. Du champ de bataille encore fumant semble s'élever un nuage sombre et nauséabond, savant mélange de cendre et de poussière. Cette obscure fumée se déplace sinueusement, comme un serpent charmé par son maître, jusqu'à entourer doucement Fenris qui, les yeux clos, un sourire fin aux lèvres, écarte les bras comme s'il voulait s'accaparer l'horizon. Des éclairs déchirent le ciel tandis que le tonnerre fait trembler la terre sous nos pieds.

Cet écran impénétrable semble s'animer d'une vie propre, à l'odeur s'ajoutant le son déchirant de dizaines d'âmes torturées et prisonnières d'un monstre sanguinaire. Les âmes des défunts et des blessés sont aspirées par l'incroyable attractivité exercée par le Prince des Ténèbres. Toutes ces ombres éthérées gravitent autour de leur nouveau maître tandis que le vent se met à hurler tel un loup solitaire et enragé un soir de pleine lune.

La conclusion de toute cette sombre affaire va d'elle-même. Fenris doit mourir.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Where stories live. Discover now