XX- Trahison de longue date

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Angélique


Maintenant que Gaby m'a révélé le passif douloureux qui le lie à Fenris, je me vois mal insister en lui demandant comment faire pour repousser une attaque psychique. On va dire qu'il a assez donné pour aujourd'hui, vu comment cette histoire a l'air de le chambouler. Je le laisse tranquille et rejoins ma tente, à l'abri du monde et des deux entités divines qui m'accompagnent durant ce voyage qui m'inspire de moins en moins confiance. Ma grand-mère est morte pour avoir décidé de suivre le camp de son amant qui s'est révélé n'être qu'un gros salopard avide du pouvoir qu'elle pourrait lui offrir. Ma mère est morte pendant l'initiation sans que je n'ai pu la voir plus de quelques minutes à ma naissance.

Et moi dans cette histoire ? Suis-je condamnée à mourir pour ce que je suis ? Gaby m'a clairement dit que si je choisissais les Enfers, lui et les siens auraient ordre de me tuer, condamnant la Terre à vivre sans la protection de ses héritières. Mais si je choisis l'Eden, que je rejoins les troupes auprès de Gabriel, qui me dit que les démons me laisseront en vie ? Je dirais même que, si les anges n'ont pas hésité à tuer mon aïeule, les démons sont tout indiqués pour se venger et me trucider de manière mémorable !

C'est sur ces pensées somme toute très joyeuses que je glisse doucement dans un sommeil peuplé de rêves étranges et de cauchemars sanglants où je finissais la plupart du temps parfaitement morte, gisant dans une mare de sang. Autant dire que je n'ai pas passé la meilleure nuit de tous les temps.

Je me réveille alors que la lune est encore haute dans le ciel. L'aube ne pointera pas avant quelques heures, mais impossible de fermer les yeux à nouveau. Gaby, je te retiens avec tes histoires vraies et possiblement réitérables ! Je sors de ma tente et suis immédiatement glacée par le froid mordant. Je croise les bras sur ma poitrine dans une vaine tentative pour me réchauffer avant de me souvenir de ma dernière trouvaille paranormale. Je retrouve des souvenirs heureux et aussitôt une douce chaleur remplace le froid mortel autour de moi.

Gabriel n'est nul part, j'imagine qu'il est à son tour cloîtré dans sa tente. Fenris, pour sa part, est assis tranquillement devant le feu qui a réussi à survivre par je ne sais quel miracle au vent glacé. Prudente, je ne m'approche pas de lui et laisse le maigre foyer brûlant opérer tel une barrière entre lui et moi. Ce qu'il m'a fait la dernière fois que je lui ai adressé la parole me reste légèrement en travers de la gorge.

- Pourquoi tant de méfiance, tout à coup ? demande-t-il innocemment.

Je lâche un rire sec et sans joie, seulement à moitié étonnée qu'il ose poser la question.

- Et tu oses me demander ? répond-je froidement.

Il se contente de hausser les épaules et de me fixer de ses yeux d'or.

- Avoue que tu as peut-être "légèrement" dépassé les bornes la nuit dernière, le relance-je.

- Je voulais simplement montrer à Gabriel l'étendue de sa stupidité, de sa bêtise et de son incompétence, fait-il en fixant les flammes ardentes entre nous.

Je fronce les sourcils. Aux dernières nouvelles, c'est lui qui remporte la palme de la stupidité et tout ce qui va avec. Après tout, sa dernière mission a été un échec cuisant qui doit encore le hanter. Après tout, cet idiot a laissé passer sa chance de devenir quelqu'un de bien beaucoup trop de fois pour pouvoir se permettre de juger qui que ce soit.

- Et tu ne pouvais pas simplement le lui dire ?!

- Pour ta gouverne, princesse, nous ne sommes pas les meilleurs amis du monde, alors je pourrais lui dire n'importe quoi, même la vérité la plus pure, jamais il ne me croirait. Mieux valait donc me servir de ce à quoi il tient le plus pour lui faire passer clairement le message.

- Et depuis quand le fait que Gaby soit dans le vrai t'importe à ce point ?

Il sourit en coin.

- Tu as raison. Tu es moins idiote que tu en as l'air, petite fille.

Ne pas s'énerver, ne pas s'énerver...

- Te charmer ne servait à rien sinon à apprécier ta réceptivité aux charmes démoniaques. Après tout, peut-être deviendras-tu enfin utile au bout du compte ?

- Alors tu comptes me charmer comme tu as charmé Eden ?

Il recule presque imperceptiblement et tente visiblement de cacher le trouble que ce nom provoque en lui. Bien, j'ai, il me semble, touché à un point sensible. Si on m'avait dit que les démons pouvaient être touchés par quoi que ce soit !

- Que... Quoi ? marmonne-t-il, un brin choqué semble-t-il.

- Eden, tu sais, ma grand-mère ?

Il secoue la tête, essayant vraisemblablement de reprendre ses esprits.

- C'est l'ange qui t'a dit ça, pas vrai ?

- Et qui d'autre, imbécile.

Il sourit, mais je sens que ce sourire-ci est forcé, comme s'il cherchait à retrouver contenance.

- Il t'a dit que je l'avais charmée ?

- Oui, tu es sourd en plus d'être mauvais jusqu'à la moelle ?

Oui, je suis un peu sur la défensive, mais j'ai une liste de bonnes raisons de me méfier de lui qui s'allonge à chaque nouvelle minute en sa compagnie, alors j'estime avoir le droit de me montrer autoritaire, même si je sais que je joue avec le feu.

Il fronce les sourcils avant de reprendre la parole d'une voix froide et rageuse.

- Tu ne devrais pas croire monsieur-belles-paroles, il a une façon bien à lui de voir le monde. Sa réalité ne correspond pas forcément avec la réalité. Mais j'imagine que, intelligente et douée comme tu l'es, je ne t'apprends rien. Après tout, ta mère a dû t'apprendre deux ou trois trucs pour survivre en compagnie d'êtres surnaturels ? Oh, non, j'oubliais, ta mère est morte, tuée par les demandes des anges de prendre la suite de ta grand-mère.

Je recule, surprise et choquée à mon tour.

- Oh, pauvre petite chose, tu ne savais donc pas que ce sont tes précieux anges qui ont précipités ta chère maman dans la tombe ? continu-t-il en prenant un air contrit qui tranche avec ses mots qui brûlent de vérité. Voilà un léger détail que Gabriel aura probablement oublié de mentionner durant la longue période qu'il a passé à te modeler de façon à ce que tu correspondes aux attentes de son Père et que tu le suives bêtement où qu'il aille.

Je me lève, perdue entre colère, sentiment de trahison et doute, et retourne vers ma tente sans un regard en arrière. Je suis arrêtée dans mon élan par Fenris qui attrape mon poignet au vol.

- N'oublie jamais de te méfier de tout le monde. Dis-toi que tu ne seras jamais trahis par un ennemi. Seuls les personnes en qui tu as toute confiance peuvent te blesser plus mortellement qu'aucune arme ne le pourra jamais.

Je libère mon poignet dans un geste rageur et me cloître sous ma tente, comme si le fin tissu pouvait me couper de ces révélations.

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Where stories live. Discover now