XXXVII- L'éveil

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Angélique


Je ne vois plus rien, je n'entends plus rien, je ne ressens plus rien... Je ne suis plus rien... Je flotte dans le néant, happée par l'immensité de l'Univers, dispersée au quatre vents par un souffle inexistant, vibrante d'une force inconnue et contenue. Je n'ai plus de corps. Seule une petite flamme bleue, mon âme peut-être, me permet de savoir que je suis toujours vivante.

Devant moi, une flamme d'un vert éclatant éclaire l'obscurité de l'infini d'une douce lueur rassurante. Je m'en approche sans crainte, mêlant mes flammes bleutées à celles si attirantes de cette âme inconnue qui s'embrase plus encore.

- Te voilà à l'heure du choix, Fille de la Terre, résonne une voix caressante et pleine de tendresse. Je sais ta décision et je l'accepte pleinement et sans jugement. Mais désormais, tu vas avoir besoin de toute la puissance disponible pour espérer pouvoir te libérer du sceau apposé sur ton corps mortel.

- Mais je ne peux pas, dis-je sans craindre la réaction de l'être lumineux en face de moi. J'en suis incapable.

- Bien sûr que si... Toute âme à la force nécessaire. Seul le corps et les enseignements des mortels peuvent être des barrières. Tes seules limites sont celles que tu t'imposes. Tu es la dernière Fille de la Terre, ton devoir est de protéger ce monde et ceux qui y vivent. Pour accomplir ta mission sacrée, tu dois être capable de te débarrasser de n'importe quelle malédiction. Et n'oublie jamais : tu n'es pas seule.

A mes côtés apparaît alors une flamme pourpre. Eden. Elle m'assiste dans cette épreuve et je suis envahie par un sentiment de soulagement et de gratitude. Derrière elle, une flamme plus faible d'un orange doux comme un coucher de soleil. Ma mère. Je sens mon âme se gonfler de bonheur. Ma mère, ma mère biologique est là, à mes côtés pour la première fois. J'aurais mille questions à lui poser, mais le temps presse. Des dizaines et des dizaines de flammes de toutes les couleurs surgissent du néant pour venir former un halo lumineux autour de moi tandis que le grand feu verdoyant ondule sous une brise imaginaire.

Je sens ma puissance augmenter de manière significative alors que chacune des flammes s'approche de moi et se lie à mon âme. Ma propre flamme se met alors à grandir et à rugir avec puissance.

Je ressens tout. Je ressens les faibles vibrations de la terre causée par le pas assuré d'une fourmi, je sais les épreuves qu'a dû traverser ce grain de sable pour en arriver là, je goûte la saveur de l'air pour la première fois...

Ce n'est que lorsqu'un grand fracas fait vibrer la roche derrière moi que je sais que j'ai réintégré mon corps. En moi brûle désormais suffisamment de puissance pour briser ce sceau, je le sais. Il ne me reste plus qu'à savoir comment.

Je rouvre les yeux et découvre l'horrible spectacle. Fenris est au sol, une aile brisée, son sang colorant le sol d'un rouge sombre, le visage marqué par la douleur et l'épuisement, ses yeux lançant des regards meurtriers à son frère. Je vois sa colère de se trouver aussi impuissant face à cet être qu'il exècre, je ressens la force qui brûle encore en lui, si proche et pourtant si inaccessible, et soudain, tout s'arrête. Je perçois seulement le râle bref qui lui échappe alors que la lame du démon-serpent le transperce de part en part.

Si mon âme est bouleversée, celle d'Eden l'est encore bien plus. Mon corps étant désormais un réceptacle à tant de parties d'âmes, toutes les émotions de toutes ces créatures me terrassent. Je tombe à genoux, une main devant la bouche, un cri de désespoir bloqué dans ma gorge serrée. Non... Ce n'est plus moi qui souffre. Eden, par la force de sa volonté et de ses émotions, est parvenue à prendre le contrôle de cette enveloppe charnelle qui était mienne jusqu'alors.

Le corps tremblant, l'esprit engourdit, je vois comme au ralenti Jormungand armer le coup fatal. Puis, sans que je ne l'ai décidé, mon corps se redresse de lui-même et court à toute vitesse entre la mort et le démon avant de tendre la main droite, celle portant le sceau, droit vers la lame qui s'abat à toute vitesse.

Silence assourdissant.

Une immense vague bleutée aux reflets pourpres déferle sur le démon-serpent. Une onde de choc si puissante que toute l'assistance est projetée au sol.

Le sceau se fissure. Fendille. Se brise. Sur ma peau, cette marque désormais familière éclate en mille morceaux pour disparaître dans le néant.

Je sens la puissance de mes aïeules courir dans mes veines et rugir comme le brasier de nos âmes. Je sens mon corps brûler d'une flamme bleutée où serpentent des filaments multicolores.

Je suis la dernière Fille de la Terre, et mon rôle est de protéger ce monde. C'est ma mission sacrée.

Telle est ma place.

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Gabriel


Nous sommes tous propulsés en arrière par la force de l'onde bleutée d'une puissance incroyable. Lorsque je me redresse, c'est pour admirer un spectacle que je ne pensais pas pouvoir revoir un jour.

Angélique, ses yeux tels deux flammes bleues ardentes, vient de briser nette la lame de Jormungand qui aurait dû la couper en deux. Les deux morceaux de la faux tintent au sol, brisant le silence religieux qui tombe instantanément autour de nous.

Les émotions débordantes d'Eden auront probablement provoqué un surplus d'énergie qui aura dépassé les capacités du sceau apposé par le démon.

La Fille de la Terre se redresse doucement et pose calmement son regard enflammé sur le démon-serpent qui perd peu à peu toute contenance. Une aura bleutée aux reflets pourpres fait vibrer l'air autour de la jeune femme toujours interposée entre Jormungand et Fenris.

Le démon pâle recule de quelques pas avant de reprendre contenance. Une grimace de colère déformant son visage fin, il prend sa forme de serpent démesuré pour faire face à cette menace d'un tout nouveau genre. Il ouvre grand la gueule, ses crochets suintant d'un venin noirâtre, puis se lance à l'assaut de la jeune femme frêle.

Angélique lève son bras droit armé d'une magnifique lance, l'arme des Filles de la Terre, et aussitôt, une bulle d'énergie pure se forme autour d'elle et Fenris. Le serpent, prit dans son élan, mord sans relâche ce bouclier impénétrable. Mais Angi ne faiblit pas, sans nul doute aidée par Eden.

A mon tour de tenter ma chance contre ce monstre. Je dégaine la longue épée qui ne me quitte jamais, symbole de justice et de paix et déploie largement mes ailes immaculées. Au loin, on entend les pas lourds des milliers de démons prêts à en découdre, prêts à tuer pour leur maître.

Sans hésiter, je me lance à l'assaut du ciel et plonge droit sur Jormungand. Le vent siffle furieusement à mes oreilles alors que je pique vers mon ennemi. Mon arme s'enfonce profondément entre ses écailles coupantes et il pousse un sifflement de douleur strident avant de faire volte-face, ses crochets passant à un cheveux de mon visage. D'un violent coup de tête, il m'éjecte de sur son dos, mon épée toujours plantée dans son corps reptilien, tandis que je rencontre à mon tour la roche froide et préalablement fissurée par Fenris. Je secoue la tête, tentant de reprendre mes esprits le plus rapidement possible.

A cet instant, une chouette blanche survole les montagnes. Son cri aigüe résonne entre les cols, l'image-même de l'espoir.

Un hennissement. Je lève le regard jusqu'aux cieux. Entre les nuages, des silhouettes blanches fondent vers nous, l'arme au clair. Les Walkyries juchées sur leurs pégases blancs mènent la charge, suivies de près par les anges. Mes deux frères guident les troupes, parés au combat.

Au sol, Jormungand hurle de rage tandis que ses troupes le rejoignent, prêtes à faire face à ce déluge de lumière qui s'abat sur eux.

L'Histoire est un éternel recommencement. Ce combat, nous l'avons mené il y a un siècle de cela. Aucun de nous ne l'avait gagné. A nous de changer l'avenir désormais.


Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Where stories live. Discover now