XVI- Les pouvoirs d'un incube

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(pdv d'Angélique)


Je me réveille aux petites heures de la nuit. Gabriel semble endormi, mais je devine à son air tendu qu'au moindre bruit anormal, il sera prêt au combat. Je le regarde dormir pendant quelques minutes, un peu dans la lune, avant de remarquer que notre "cher" compagnon de voyage est aux abonnés absents.

Aussitôt, je me redresse et scrute la profondeur de la forêt plongée dans l'obscurité de cette nuit sans Lune. Gaby m'a expliqué qu'il ne peut pas s'éloigner de plus de quelques mètres de lui à cause de ses bracelets-menottes, et pourtant, je suis incapable de le distinguer entre les ombres des arbres. Je me lève et écarte les pans de mon sac de couchage. Le froid mordant me fait frissonner. L'Autriche la nuit, c'est pas super chaud, je confirme. J'attrape de nouveau le sac de couchage et le passe sur mes épaules en guise de veste coupe-vent. Gabriel n'a pas bougé d'un pouce même s'il a ouvert les yeux pour vérifier que tout allait bien.

Je lui lance un sourire qu'il me renvoie avant d'avancer dans la noirceur de la forêt dense. Je cherche Fenris du regard tout en essayant au mieux d'éviter les racines et les branches basses. Gabriel de son côté reste auprès du feu qui n'est plus qu'un tas de braises rougeoyantes en me suivant du regard, comme un grand frère surveille sa petite sœur. Plutôt rétrograde comme vision... Enfin bref.

Au bout de quelques minutes, je remarque enfin la silhouette sombre du démon. Je sais qu'il a senti ma présence, pourtant il ne dit rien, n'esquisse pas le moindre geste ni ne tente le moindre regard. Mieux encore, il ne sourit pas. Je regarde autour de lui, tentant de découvrir ce qui a bien pu le faire redevenir un temps soit peu "normal", mais ne remarque rien. Du moins, au premier regard.

Lorsque mes yeux sont suffisamment habitués à l'obscurité, je remarque que les troncs d'arbres autour du prisonnier sont éclatés, brisés voire percés. Des éclats de bois sont étalés un peu partout. Je regarde alors les poings du démon et ne suis qu'à moitié surprise de les voir en sang, hérissés d'épines plus ou moins imposantes.

- Et on peut savoir ce qui te met dans des états pareils ? demande-je d'une voix claire à la créature face à moi.

Il garde le silence et sert les poings, comme s'il résistait à une furieuse envie de me frapper. Je recule d'un pas, par sécurité. Je ne meurs pas d'envie de voir ce qu'un homme capable d'éclater un chêne centenaire pourrait me faire si jamais les troncs ne lui suffisaient plus.

Pourtant, après quelques secondes qui me semblent une éternité, il soupire et dessert les poings, comme vaincu par une force invisible. De dépit, il s'acharne à nouveau sur un tronc qui avait miraculeusement réussi à échapper à ses coups jusqu'ici.

- Mais arrête imbécile ! Tu te fais du mal pour rien !

Il se retourne vers moi, le visage ravagé par la colère, la haine et quelque chose que je qualifierais comme du désespoir. Je recule une fois encore, choquée de le voir ressentir autre chose qu'une joie surnaturelle devant tout évènement, qu'il soit bon ou mauvais.

- Qui te dit que je fais ça pour rien ? dit-il alors d'une voix calme et froide, dénuée de tout sentiment.

C'est alors que, erreur fatale, mon âme de gentille humaine compatissante prend le pas sur ma méfiance. Je m'approche de lui à petits pas, prête à esquiver un coup qui ne vient pas.

- Tu... Tu veux en parler ?

Il éclate de rire. Encore et toujours ce rire froid, glaçant, aussi mordant que le vent du Nord.

- Mais pour qui te prends-tu ? demande-t-il après que son fou rire fût calmé. Tu crois vraiment qu'une gentille mortelle charitable veut entendre la confession d'un démon millénaire ? Laisse-moi répondre à cette question : non. Bien sûr que non. Le simple fait que tu m'adresse la parole est déjà un péché, alors un conseil, dégage d'ici. Mieux encore, rentre chez toi et oublie toute cette histoire. Laisse-toi capturer par le premier venu et compose avec ce qui te sera offert. C'est la seule façon que tu as d'espérer survivre quelques années encore.

Je m'arrête nette, stoppée dans mon élan de miséricorde par le venin de ses mots.

- Tu ne te lasses jamais de dire des horreurs ? lâche-je après quelques secondes d'un lourd silence.

Il affiche toujours son sourire fier, même si je devine quelque chose d'autre qui tente d'apparaître dans ses yeux d'or et d'émeraude.

- Je suis un démon, n'oublie jamais ça, fillette.

- Mouais, enfin, démon, pour le moment, je n'ai pas vu grand chose de tes prétendues capacités destructrices, marmonne-je en croisant les bras tout en évitant son regard.

Il s'approche de moi d'une démarche féline et se penche pour être à ma hauteur.

- Tu aimerais me voir m'acharner contre ce monde ? murmure-t-il doucement à mon oreille, son souffle chatouillant la base de mon cou et m'arrachant un frisson.

Je recule d'un bond tout en l'écartant de moi, le souffle court tandis qu'il laisse échapper rire amusé.

- Oh, pauvre petite mortelle... Tu as déjà vu quelques uns de mes tours de passe-passe, mais je t'assure que le meilleur reste à venir. Pour une démonstration, demande à ton chien-chien divin de me libérer de mes liens. Là, je te montrerais l'étendu de mes pouvoirs. Mais pour le moment, j'imagine qu'une simple mise en bouche te suffira, pas vrai, ma belle ?

Sa voix change de tessiture pour devenir plus envoutante, plus calme, plus... indescriptiblement douce. Il semble se dégager de lui comme une aura, une vague de puissance qui tente de me convaincre et m'ordonne à demi-mots de lui obéir sans discuter, comme une petite voix dans ma tête qui me pousse à céder au moindre de ses caprices et à plonger sans retenue dans la béatitude d'une existence où tout serait régit à ma place. Je ne sens plus mon corps, mon esprit est comme prisonnier volontaire d'un nuage duveteux, comme si je m'étais perdue au beau milieu d'un rêve.

- Va, convainc-le par tous les moyens de m'affranchir de mon contrat et je t'offrirais cette Terre. Je t'offrirais tout ce que tu désires le plus au monde. Tous tes rêves les plus fous entreront dans la réalité si tu me prouves que tu es une bonne fille sage et obéissante en me libérant.

Sa voix grave et suave coule sur moi comme du miel et je me sens légère, sans soucis et sans autre attache que l'homme en face de moi. Sa main gauche trace des sillons de feu sur la peau fine de mon visage, mes joues, mes lèvres, alors que, sans m'en rendre compte, je me suis rapprochée de lui. De son autre main, il caresse doucement base de mon cou tandis qu'il me susurre ses ordres à l'oreille. Cette proximité, loin de m'effrayer, semble éveiller mes sens. Mon sang est pareil à la lave brûlante d'un volcan en activité là où sa peau entre en contact avec la mienne. Cette sensation m'a l'air étrangement familière, même si ce vague souvenir est loin d'être aussi agréable que la douce et inéluctable servitude dans laquelle je me baigne avec délice. Je veux que ses désirs deviennent réalité. Mon seul et unique souhait est d'accomplir tout ce qu'il m'ordonnera de faire. Je lui offrirai ma vie avec plaisir pour peu qu'il m'ordonne de me trancher la gorge. Ma vie, mes amis, ce voyage, tout me paraît lointain, sans importance. Tout ce qui compte, c'est que j'obéisse, qu'il soit fier de moi et qu'il fasse de moi ce que bon lui semblera. Je lui appartiens désormais corps et âme et je ne souhaite rien d'autre que lui.

Je me dirige machinalement vers le campement sous le regard perçant de mon nouveau maître. Sans réfléchir, je m'empare de l'épée de l'homme allongé sur le sol, sagement posée à côté de lui. L'inconnu se redresse sur sa couchette et me regarde, inquiet. Mais ça n'a pas d'importance. Je dois le tuer. Tel est le souhait de Fenris et tel est mon souhait. Je lève l'épée au-dessus de ma tête, mais au moment-même où je l'abat sur l'homme, il s'écarte et projette sur moi ce qui ressemble à une bulle lumineuse.

Aussitôt, le contrôle qu'avait Fenris sur mon esprit est balayé et je m'effondre au sol, le souffle coupé et vidée de toute énergie. La dernière chose que je vois avant de sombrer dans le sommeil est Gabriel s'avançant à grandes enjambées furieuses vers Fenris qui sourit de toutes ses dents.

- Je t'avais dit qu'elle ne pourrait pas résister, l'ami...

Ex Nihilo -1- Homo homini lupus est [Wattys 2020 - Paranormal]Where stories live. Discover now