neuf

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Les fourrures côte à côte, les yeux jaunes qui lancent des éclairs, les griffes qui labourent le sol, les respirations haletantes, les pattes qui survolent branchages et feuilles mortes, les corps souples qui esquivent troncs et branches basses, la Lune qui éclaire chacun de leurs mouvements, les gueules entrouvertes, laissant apparaître des crocs luisants, les hochements de tête, la course effrénée, le cœur qui bat, la faim qui tord le ventre, le sang qui coule des blessures...

Les loups s'arrêtèrent au sommet d'une colline, les pelages dégoulinants de sueur. En contrebas, un petit village dormait. Il ne devait pas y avoir plus d'une centaine de maisons. Ils se dévisagèrent. Certains inspiraient, les yeux assassins, d'autres hésitaient, tremblants. Ils ne savaient même pas les noms des autres. Ils connaissaient par cœur leur odeur.

D'un seul coup, ils se mirent à dévaler la pente, droit vers le village, vers le sang, vers la promesse que tout s'arrêterait. Ils hurlaient. Leurs griffes assassines retournaient le sol. Leurs yeux meurtriers éclairaient la nuit. Leur souffle criait au monde qu'ils étaient là. Leurs pattes silencieuses s'assuraient du succès de l'opération. Ils faisaient un, ils étaient chacun un rouage de cette terrible machine, fluide et assassine, prête à condamner certains. Et à épargner d'autres.

Ce soir serait un grand jour. Ils ne montaient pas tous les mois des coups de cette envergure. Vingt enfants le même soir, tous du même village, de quoi effrayer assez pendant des mois. Il suffisait d'une nuit moite pour qu'ils pleurent tous.

Ils se divisèrent soudainement. Chacun savait ce qu'il avait à faire. Les silhouettes s'enfoncaient dans la nuit, terribles spectres meurtriers. Ils hurlaient. Qu'on sache qu'ils étaient, qu'on tremble ! Le monde devait les craindre une fois par mois, parce qu'eux craignaient le monde toute leur vie ! Qu'ils tremblent ! Qu'ils pleurent ! Cette nuit, le monde était à eux ! Cette nuit, ils feraient couler le sang, pour venger tous ceux qui mouraient chaque année ! Qu'ils soient innocents n'était qu'un détail, ils devaient payer. Payer pour les autres. Pour ceux qui ne sentaient jamais cette colère dans leurs veines, cette peur dans leurs rêves. Pour ceux qui ne tremblaient pas devant la Lune, qui ne pleuraient pas devant les griffes.

Tchak.

Le premier hurlement.

Il se précipita vers « sa » maison, l'autre sur ses talons. Ses pattes martelaient le sol boueux, il dérapait, courait encore, plus vite, plus loin, et posa ses yeux jaunes contre la vitre. Une femme était assise dans un canapé, devant un ventilateur, son fils sur les genoux. L'autre loup gémit pour attirer son attention. Elle tourna la tête. Un rictus se dessina sur le visage du loup, et il brisa la vitre d'un coup de patte.

La femme se mit à hurler.

- Jeremiah ! Jeremiah !

Elle prit son petit garçon dans ses bras et se mit à faire de grands moulinets avec les bras. Les deux loups sautèrent par la fenêtre et atterrirent devant elle.

- JEREMIAH !

Tchak !

Le premier coup de griffe déchira son pantalon. Elle se remit à hurler et à sangloter, pendant que le garçonnet hurlait à son tour.

- JEREMIAH, MA BAGUETTE ! JEREMIAH, DESCENDS !

Le deuxième loup, celui qui était arrivé avant, celui qui n'avait rien fait, bondit alors sur elle, et « Tchak », d'un coup de griffe, déchira la manche de son pull.

Les deux loups se mirent à hurler, sous le regard terrifié de la femme, qui poussait maintenant son garçon à l'étage.

- Monte, Luca. Arrière, loups ! JEREMIAH !

C'est toi que j'aime {REMADORA}Where stories live. Discover now