Chapitre 12: Mozart et Salieri

53 8 29
                                    

— Répète-nous cela, s'il te plait ? Tu veux partir à Tokyo ?

Violette acquiesça avec fermeté. Dans la bibliothèque du château, la jeune femme faisait face à ses parents qui la dévisageaient, interloqués. Sûrement ne s'attendaient-ils pas à cela lorsque leur héritière avait demandé à leur parler sérieusement. Pour eux, il n'y avait qu'une seule voie possible pour leur fille. Elle devait reprendre la fortune familiale et restaurer leur gloire d'antan. Mais la décision de l'adolescente était prise et elle ne comptait pas en changer. Elle n'avait pas peur d'affronter son père et était prête à fuguer s'il s'opposait à elle. Elle refusait catégoriquement de perdre son temps dans des histoires poussiéreuses dont elle n'avait que faire. Ces mêmes histoires qui lui avaient déjà volé quinze ans de sa courte vie et fait d'elle une adulte dans un corps d'enfant.

Après plusieurs secondes de silence durant lesquels Violette fixa son père droit dans les yeux sans faiblir, ce dernier ferma le livre qu'il lisait et lâcha un soupir.

— Es-tu consciente qu'en tant qu'héritière de notre famille, tu as des devoirs auxquels tu ne peux te soustraire ?

— Nous avons déjà parlé de cela, père. Et vous connaissez mon point de vue sur la question. Je pense que notre dynastie est morte, et qu'il est ridicule d'essayer de l'entretenir. Autant faire un massage cardiaque a un squelette, le résultat sera identique.

Le vieil homme au crâne dégarni et à la moustache recourbée, tout droit sortie d'un autre siècle, grimaça. Toutefois, il ne releva pas pour éviter de repartir dans un débat sans fin. Il ne voulait pas se fâcher avec sa progéniture une nouvelle fois. De toute façon, il était peine perdue de lui faire entendre raison, en pleine crise d'adolescence. Il pensait qu'avec le temps, Violette comprendrait quelle était sa mission.

— Donc, pour résumer tout ce que tu viens de nous dire, tu souhaites poursuivre tes études à l'académie Rikoukei de Tokyo dans le but de devenir chercheuse en physique élémentaire.

— C'est bien cela.

— Je pense que nous n'avons aucune raison de nous opposer à un projet aussi noble, ou tu pourras mettre à profit toute ton intelligence et tes connaissances. Néanmoins, j'y mets une condition. Tu devras rester dans les trois premiers de la promotion durant ces trois années et compléter un mémoire avant la fin de tes études. De plus, une fois diplômée, tu devras travailler au CERN, afin d'être disponible pour tes obligations futures. Si tu échoues, tu devras revenir en France et accepter ton héritage. Il n'y aura pas de triche possible puisque j'écrirai régulièrement à Ryoko pour connaître l'avancée de tes recherches. Est-ce que tu t'en sens capable, malgré tout ?

— Aucun problème.

— Donc, c'est décidé. Si ce rêve te tient toujours autant à cœur à la fin de l'année, nous organiserons tout pour que ton départ se passe dans les meilleures conditions, et surtout, dans l'anonymat. C'est ta vie, et surtout ta jeunesse. Tu dois en profiter pour faire ce que tu aimes tant que tu n'as aucune responsabilité qui implique la vie de millions de concitoyens.

Encore un mensonge. Ce n'étaient que des mots hypocrites, creux, vides de sens dans la bouche d'un aristocrate d'un autre siècle en manque de reconnaissance, pensa l'adolescente en grimaçant en son for intérieur. Comment pouvait-elle profiter de sa jeunesse alors que cet homme la lui avait retirée en la forçant à devenir l'héritière parfaite d'une lignée éteinte ? Mais qu'importe. Il lui suffisait d'endurer cela encore quelques mois avant de pouvoir embrasser la liberté.

— Vous pouvez compter sur moi pour ne pas salir la réputation de notre famille. Si tant bien que ces mots aient encore un sens sous la Vème république.

Comme deux atomes intriquésМесто, где живут истории. Откройте их для себя