Chapitre 25: La dauphine est morte, vive la dauphine

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« Paris, le 30 mars 1978

À toi, Garance, ma chère et irremplaçable cousine,

Je vais être directe : je t'ai menti. Un peu abrupt ? Peut-être. Mais, j'avais besoin de dire ce que j'avais sur le cœur. Je suis désolée que tout se soit terminé ainsi. J'espère qu'une fois que tu auras lu ces mots, certainement vides de sens si la colère te ronge encore — et je le conçois aisément, au vu de mon comportement envers toi —, tu comprendras mieux les motivations qui m'ont poussée à tout abandonner.

Idiote, Égoïste. Prétentieuse. Arriviste. Profiteuse. Sans cœur. Automate. Inhumaine. Tels sont les qualificatifs les plus élogieux, parmi tant d'autres, que mes camarades de classe ont toujours utilisés pour me décrire. Et, maintenant que je m'apprête à partir sans regret, et sans oser te le dire en face, jamais je ne les ai trouvés aussi adaptés pour définir ce que je suis vraiment.

Est-ce que tu te souviens de notre première rencontre ? Je m'étais rendue à une de ces nombreuses réunions politiques ennuyeuses auxquelles mes parents m'emmenaient souvent. Je devais avoir dix ans, et toi douze, si mes souvenirs sont exacts. Tout comme moi, tu t'ennuyais dans cette ambiance où flottait une horrible odeur de tabac et de snobisme. Je m'étais éclipsée hors de la salle principale après avoir donné mal à la tête à un banquier intellectuellement limité à qui j'avais essayé d'expliquer, en vain, le principe de relativité générale. Et c'est là que je t'ai aperçue. Tu te servais copieusement dans le bol de chips posé dans la cuisine sans te soucier du regard des autres. Lorsque je t'ai fait remarquer que c'était interdit, tu m'en as simplement tendu une en me disant ces mots exacts : "s'ils sont si riches qu'ils le disent, ce n'est pas une chips qui va les mettre sur la paille, hein ?".

J'ignore pourquoi, mais cette phrase m'a fait rire. Moi qui tentais de contrôler au maximum mes émotions en public, comme me l'avaient toujours appris mes parents, je n'ai pas pu m'en empêcher. Peut-être parce c'était la vérité pure et sans filtre ? Tout le contraire de ce que représentait cette réunion d'affaire remplie de faux sourires et gangrénée par les promesses vides de sens. Quoiqu'il en soit, nous avons discuté jusqu'au coucher du Soleil de sujet sans intérêts, et sans prise de tête. C'était la première fois que je rencontrais quelqu'un avec qui je me sentais aussi à l'aise.

À l'école, je n'avais pas d'amis à cause de la trop grande différence d'âge entre nous. De plus, je n'allais jamais jouer au parc après les cours ni ne participais aux activités collectives pour me concentrer uniquement sur mon travail et sur mon éducation d'héritière du trône. C'est pourquoi parler avec toi ce jour-là m'a rappelé que je n'étais encore qu'une enfant. Au cours de notre discussion, tu t'étonnais de mon emploi du temps bien plus strict que celui d'un élève de classe préparatoire. Tu m'as fait prendre conscience que ce n'était pas normal pour une fille de mon âge. Sur le moment, je n'avais pas réagi et nous nous étions séparées.

Quelle surprise ça a été de te revoir, quelques semaines plus tard, à une réunion de famille pour l'anniversaire de la mort de Louis-Philippe et d'apprendre que tu étais ma cousine germaine. Lorsque nos parents se sont aperçus que nous avions sympathisé, ils ont organisé davantage de dîners et d'apéritifs entre eux afin que nous puissions nous voir. Je pense que mon père appréciait que je puisse passer du temps avec une autre personne de mon rang, de temps en temps.

Au fil de nos rencontres, tu as fini par devenir ma confidente. Tu étais celle à qui je pouvais parler sans crainte de mes peurs et de mes tourments de préadolescente, comme à la grande sœur que je n'avais jamais eue. Cependant, même si je me livrais entièrement à toi, il y a un secret que je ne t'ai jamais révélé. Ce secret, c'était mon projet de mettre un terme à cette vie.

Comme deux atomes intriquésWhere stories live. Discover now