Chapitre 14.5 : La fillette qui ne souriait jamais

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Tel un fantôme, Hanae apparut devant son fiancé dans un éclat de lumière dorée, les lèvres fendues d'un sourire moqueur. Comme à son habitude, elle n'était vêtue que d'une simple blouse de laboratoire et d'un short court. Un petit pendentif en forme de sabre pendait également à son cou et luisait d'une faible lueur mauve.

— Eh bien, je suis surprise, ricana-t-elle sans méchanceté. Je n'aurais pas pensé que tu privilégierais l'avenir de tes élèves à ta place au sein du clan. Tu as changé. Il y a quelques années, tu n'aurais même pas pris la peine d'expliquer à Violette le pourquoi du comment.

— Vraiment ? s'étonna Ryoko en se grattant la barbe, gêné. J'ai simplement agi sur un coup de tête, à vrai dire.

— C'est tata Musashi qui va être mécontente, en tout cas. Elle qui avait toute confiance en toi. Son pauvre cœur risque de lâcher si elle apprend ce que tu as fait.

— Je préférerais que ça ne s'ébruite pas trop, grimaça le scientifique.

— Et sinon, quelle est la véritable raison de cet acte ? Je ne peux pas croire que le grand professeur Ryoko Seiu, directeur du département des sciences de Rikoukei, ait mis en péril les secrets du clan dans un élan de compassion ou que tu sois soudainement pris de remords.

— Tu as vraiment une aussi mauvaise opinion de moi ? soupira-t-il.

— Dois-je te rappeler que c'était ton idée d'attirer Violette à Tokyo pour utiliser son intelligence dans le but de servir nos intérêts ? Tu lui as même confié Kitshono quand elle était enfant pour la surveiller et t'assurer qu'elle accepterait ton invitation. C'était bien ça, ton plan, non ?

L'enseignant passa son regard à travers la fenêtre pour contempler l'océan et les gratte-ciels de la capitale au loin, perdu dans ses souvenirs.

Hanae disait la vérité. Après sa « victoire » à la guerre des yakuzas, Ryoko avait acquis une notoriété certaine au sein du clan Inagawa. Cela lui avait permis d'obtenir les faveurs de Musashi Inagawa, à qui il avait pu demander de nombreux financements pour ses recherches. Mais, très vite, il avait dû faire face à une sorte de mur infranchissable. Il piétinait, et ce, malgré tous son travail acharné et ses discussions avec les plus grands savants de la planète. C'est pourquoi l'idée d'attirer la future génération de génies à Rikoukei, celle qui allait certainement révolutionner le monde après lui, avait germé dans son esprit.

Lorsque le père de Violette avait contacté les Inagawa pour faire affaire avec eux, huit ans plus tôt, Ryoko s'était rendu pour la première fois en France. Par cette occasion, il avait espoir d'en apprendre davantage sur les méthodes des meilleurs établissements européens.

Au cours du dîner avec son « client », il avait remarqué la présence à la table d'une fillette chétive, au regard vide et au teint plus pâle que celui de n'importe quelle Geisha. Entre ses doigts tremblants, elle serrait un exemplaire jauni de « l'évolution des idées en physique » qu'elle transportait partout avec elle, comme un étrange doudou dont elle ne pouvait se séparer. Au début, le jeune enseignant avait trouvé cela surprenant, et un peu effrayant. Il avait eu la sensation de faire face à une marionnette sans vie et sans âme, une sorte de robot à l'apparence humaine suivant les ordres de ses parents sans jamais broncher. Malgré son âge, elle ne devait pas avoir plus de sept ou huit ans, elle possédait une attitude étonnement calme et mature. Elle se tenait droite sur sa chaise, mangeait proprement avec ses couverts et écoutait la conversation sans l'interrompre si elle n'y avait pas été invitée.

À la fin du repas, Ryoko avait finalement eu le courage d'interroger son père sur pourquoi elle refusait de lâcher un livre dont elle ne comprenait certainement même pas le titre. À ce moment-là, l'homme à la moustache d'un autre temps avait éclaté de rire, puis avait demandé à sa fille d'expliquer le dernier concept qu'elle avait appris. Sans hésiter une seconde, Violette s'était lancée dans une tirade sur l'équation de Schrödinger qui avait laissé son futur mentor sans voix. Tout était exposé si clairement, et avec une telle fluidité qu'il avait eu l'impression de faire face à un de ses anciens camarades de promotion.

Comme deux atomes intriquésWhere stories live. Discover now