Chapitre 28: Naissance

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2 avril 1978

Je marchais dans le long couloir de l'académie, un lourd dossier sous le bras, en direction du bureau de direction. L'endroit était tel que je me l'imaginais depuis maintenant dix ans. D'immenses baies vitrées, un sol flambant neuf, des murs placardés d'affiches et d'offres d'emplois. Une odeur de produit d'entretien embaumait l'air ambiant et des étudiants couraient dans tous les sens, certainement en retard pour le début des cours.

À mon passage, les élèves s'écartaient et les murmures s'élevaient. Je n'y prêtai pas attention. Il fallait dire que je devais paraître étrange pour eux. Après tout, en plus d'être bien plus jeune qu'eux, je n'étais pas habillée de l'uniforme de l'école, mais d'une simple blouse de laboratoire au-dessus d'une chemise et d'un jean tout ce qu'il y avait de plus classique.

Et pour cause. Ce jour-là était ma première journée en tant qu'étudiante à Rikoukei, la plus prestigieuse université scientifique au monde, située sur l'île artificielle d'Odaiba, à Tokyo.

J'avais rendez-vous avec l'un des plus éminents chercheurs de l'académie, et également le directeur actuel, le professeur Ryoko Seiu, un vieil ami de mes parents. Je lui étais infiniment reconnaissante de m'avoir permis de fuir la France et de commencer une nouvelle vie, à l'autre bout du monde, sous le pseudonyme banale de Violette Leblanc.

Arrivée devant le bureau de mon superviseur, je m'arrêtai, inspirai longuement, puis frappai trois fois à la porte. Une voix grave m'invita à entrer.

Pour quelqu'un qui était l'un des scientifiques les plus éminents de notre siècle, son bureau était franchement quelconque. Un petit vingt mètres carré tout au plus où s'entassaient dossiers éparpillés ainsi que livres et papiers en tout genre. Il n'y avait qu'une table de travail, assez étroite pour quelqu'un de son rang, et deux chaises pour recevoir ses élèves comme moi. Au moins, il pouvait profiter de la magnifique vue sur la mer et sur la centrale en construction.

Le professeur était tel que dans mes souvenirs brumeux de lui. Un grand homme d'une trentaine d'années, au visage assez mince entouré par une fine barbe taillée au millimètre près, et aux longs cheveux aux reflets bleutés. Ceux-ci lui tombaient sur le front de manière désordonnée à la façon d'un savant fou, style que Ryoko s'amusait à cultiver en plus de ses expériences étranges. Ses yeux azurés, quant à eux, respiraient la bienveillance à mon égard.

Il m'attendait, les jambes croisées tout en fixant l'océan, assis sur sa chaise à roulettes, elle aussi, très quelconque.

— Ah, mais si ce n'est pas cette chère Violette Pendra... Euh, je veux dire, Violette Leblanc, déclara-t-il d'une voix franche et heureuse. Je ne pensais pas te voir aussi tôt, tu sais. Tes parents m'ont à peine prévenu de ton arrivée que tu débarques déjà à l'académie !

— Bonjour, professeur, lui répondis-je solennellement en m'inclinant selon les traditions japonaises. Effectivement, je suis arrivée hier, mais, si je suis venue au Japon, ce n'est pas pour faire du tourisme.

— Je reconnais bien là le génie que tu es, ma chère enfant. Toujours aussi sérieuse, ça fait plaisir à voir ! s'amusa l'homme. La détermination, le travail et le sérieux sont les valeurs que nous prônons, ici, à l'académie Rikoukei, je suis certain que...

Au même moment, une explosion dans un autre bâtiment retentit et coupa la parole au scientifique. Je sursautai. Je pensai immédiatement à une attaque. Le professeur, lui, resta de marbre et lâcha simplement un long soupir.

— Masamune... Pourquoi me fais-tu passer encore pour un clown ?

— Je vous demande pardon ? Cette explosion était-elle normale ? m'étonnai-je, perplexe.

— Normale, non. Habituelle, oui. Passons, tu t'y feras très rapidement.

J'étais sceptique. Pour une première impression dans cet établissement mondialement réputé, il y avait mieux. Peut-être était-ce le fameux « esprit d'innovation » qui était le plus grand atout de l'académie. Je décidai de ne pas relever.

Rien d'étrange ne survint durant la suite de l'entretien. Après avoir échangé quelques banalités, le professeur prit mon dossier et me remit mon uniforme, ma carte d'accès aux différents bâtiments, mon emploi du temps ainsi que les clés de ma chambre.

— Voilà, tu es donc officiellement élève à l'académie Rikoukei, ma chère Violette. Si tu as la moindre question, n'hésite pas à me demander. Je passe le plus clair de mon temps dans ce bureau en attendant la construction du nouveau réacteur.

— Justement, j'en avais une. J'ai cru voir que votre club de sciences possédait une réputation certaine et avait remporté de nombreux prix. Par conséquent, j'aimerais beaucoup l'intégrer et participer à ces activités qui me semblent passionnantes.

Ryoko grimaça. Il se saisit d'un stylo qui se trouvait à sa portée et commença à le faire tourner frénétiquement entre ses doigts d'un air contrarié.

— Je suis effectivement le superviseur de ce club. Et il reste également de la place... Beaucoup trop de places depuis la dernière promotion.

— Parfait. S'il y a des formalités administratives, je les remplirai sur le champ.

Ryoko se mordit la lèvre.

— Avant de prendre une mauvaise décision, je t'invite à aller constater par toi-même ce qu'il en est, reprit-il, peu serein. Il y a des choses... qu'il faut voir pour les croire.

Je penchai la tête sur le côté, intriguée. Pour toute réponse, l'ami de mes parents marqua simplement la salle de club d'une croix rouge sur le plan de l'école, et précisa longuement que l'infirmerie était toute proche en cas de problème.

Sur le moment, je ne compris pas ses paroles. Ainsi, je pris la direction qu'il m'avait indiquée, encore ignorante de l'absurdité de ce monde.


Comme deux atomes intriquésМесто, где живут истории. Откройте их для себя