Chapitre 15: L'enfant et l'ange de lumière

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Des flammes mauves que même la pluie battante ne parvenait à éteindre. Des pleurs que nul ne pouvait entendre. Des gémissements de douleur des victimes agonisantes. Une odeur nauséabonde de sang qui témoignait de l'horreur des combats qui s'étaient déroulés ici.

Un ricanement de hyène résonna dans la ruelle sale et mal éclairée, comme la voix de la mort elle-même, heureuse de faucher une nouvelle âme. Soichiro, impuissant voyait son ennemi se rapprocher de lui, un couteau ensanglanté à la main, une expression malsaine illuminant les pupilles du yakuza se réduisant à deux minuscules fentes.

Dans un effort surhumain, comme s'il désirait le rejoindre au plus vite et mettre un terme à cette folie, le petit garçon leva le bras au ciel. Aussitôt, il fut saisi d'une quinte de toux incontrôlable et un désagréable goût de sang envahit sa bouche. Pourquoi son père l'avait-il envoyé dans cet enfer ? Qu'attendait-il de lui, un simple gamin de sept ans, au milieu d'une arène remplie de fauves affamés ? Avait-il vraiment cru qu'il survivrait jusqu'à la fin ? Ou bien n'était-ce qu'un moyen détourné pour se débarrasser de lui ? Soichiro n'avait aucune réponse à ses questions. De toute façon, à quoi bon ? Il ne lui restait certainement plus que quelques secondes à vivre.

À l'angle de la rue, l'enfant pouvait deviner dans l'ombre d'un mur la silhouette de Ryoko et Hakaze. Les deux adolescents du clan Inagawa, tétanisés par la peur, ne pouvaient qu'observer celui qu'ils considéraient comme leur petit frère se faire déchiqueter par le champion des Sumiyoshi-rendo.

Toutefois, Soichiro ne leur en voulait pas. S'il en avait eu la force, il leur aurait hurlé de s'enfuir en le laissant là. De tous les concurrents, ils étaient bien les seuls dignes de remporter ce tournoi morbide. Et puis, de toute façon, il ne pouvait y avoir qu'un seul vainqueur. Le futur scientifique préférait qu'un animal enragé le tue plutôt qu'obliger ses amis à lui prendre la vie.

« Shiro, n'oublie pas. On dit qu'Izrath est le monde où les vœux deviennent réalité. Si tu souhaites quelque chose de tout ton cœur et de toute ton âme, sois-en certain, un Izrathien répondra à ton appel. Alors, quoiqu'il arrive, ne perds jamais espoir. Même dans la nuit la plus noire, et même si tu ne peux pas les voir, les étoiles veillent sur toi. »

Une larme cristalline coula le long de la joue du petit garçon. Ces mots étaient les derniers que sa mère avait prononcés avant que son père ne l'emmène dans la cage aux fauves. Mais, Soichiro avait-il déjà eu un souhait dans sa vie ? Il avait toujours cru que son destin était écrit depuis sa naissance et qu'il était inutile de lutter contre.

— Une dernière volonté, gamin ? ricana l'homme tatoué en léchant le sang séché sur son arme.

Pas de réponse. Au moment précis où la lame écarlate du couteau de son ennemi scintilla à la lueur d'un lampadaire, le cœur de l'enfant se remplit d'un premier et ultime désir.

— Je veux... Je veux comprendre pourquoi ce monde est si absurde, murmura-t-il d'une voix éteinte.

Un éclair doré déchira le ciel de la capitale. Une bourrasque de vent fit trembler les fondations des bâtiments. Le yakuza, surpris, s'agrippa fermement au sol pour ne pas être emporté, et écarquilla les yeux de stupeur. Devant lui, dans une colonne de lumière, lévitant à quelques centimètres au-dessus du corps de Soichiro se tenait une femme. Elle était vêtue d'une épaisse armure par-dessus une tunique antique. Malgré son apparence humaine, ses longs cheveux d'argent et ses iris mauves surnaturels semblaient indiquer le contraire. Dans sa main scintillait un sceptre d'or dans lequel était incrusté une pierre violette, un cristal d'améthyste.

— Qu... Qu'est-ce que c'est que cette blague ? bégaya le champion des Sumiyoshi, livide. Qui es-tu ? Et de quel droit interfères-tu dans...

Sans dire un mot, la créature dirigea la pointe de son arme vers l'homme. Un nouvel éclat lumineux illumina la ruelle, suivie d'un cri de douleur, et du bruit sourd. Lorsque la lumière se dissipa, Ryoko et Hakaze, toujours à l'abri, découvrirent avec stupeur le corps sans vie du yakuza, transpercé de part en part au niveau de la poitrine.

Autour du cou de Soichiro, un pendentif en forme de Soleil se matérialisa et toutes ses blessures se refermèrent instantanément, sans laisser la moindre cicatrice.

Prudent, encore affaibli, il se releva et fixa avec crainte la femme qu'il prit tout d'abord pour un ange. Cependant, le visage de cette dernière se détendit et elle lança un sourire bienveillant à l'enfant.

— J'ai entendu votre appel, Soichiro Namatame. Mon nom est Zephyra, Izrathienne du grand Sanctuaire d'Astaris. Et, à partir d'aujourd'hui, votre gardienne, jeune maître.

**

Lorsque Soichiro revint à lui, une lumière aveuglante lui brûla la rétine. Il tenta de se protéger les yeux avec ses mains, avant de se rendre compte qu'il était solidement attaché à une chaise. Son premier réflexe fut d'essayer de contacter Zephyra. Il constata alors avec horreur que son pendentif avait disparu. Cependant, le président refusait de perdre son sang-froid et se mit à scruter les environs afin de mieux évaluer la situation.

Il se trouvait dans une grande pièce, certainement un bureau à en juger par les nombreux dossiers qui prenaient la poussière sur les étagères. Au sol, un luxueux tapis de velours indiquait qu'il devait s'agir des quartiers d'une personne assez fortunée. Impression confirmée lorsque Soichiro leva la tête et aperçut un magnifique lustre de cristal accroché au plafond sculpté. Des affiches en tout genre parsemaient les murs : articles de journaux, post-it, et portraits de célébrités, à croire que le propriétaire des lieux manquait cruellement d'organisation. Enfin, sur la table à quelques mètres de lui, Soichiro vit l'amulette de Zephyra, juste à côté d'une statuette sur laquelle était gravé un kanji* qu'il ne connaissait que trop bien.

Un déclic se fit dans le cerveau du scientifique et la mémoire lui revint. Il avait essayé de s'infiltrer dans le quartier général du clan Inagawa dans l'espoir de récupérer le prototype du téléphone mobile. Pour cela, il avait prétendu avoir rendez-vous avec Musashi Inagawa en venant de la part du professeur Seiu. Mais, alors qu'on lui avait demandé d'attendre dans une salle, il avait ressenti une vive douleur à l'arrière du crâne... Puis plus rien. Le trou noir.

Soichiro jura intérieurement. Jamais il n'aurait dû baisser sa garde comme ça, simplement parce que la guerre des clans était terminée. Si Ryoko et Hakaze avaient pardonné après leur victoire et avaient accepté de le prendre sous leurs ailes, il n'en allait pas de même pour le reste de leur famille, qui considérait toujours les autres yakuzas comme des ennemis mortels. Il fallait qu'il se sorte de cette situation au plus vite avant que Violette et les autres ne se rendent compte de sa disparition. Enfin, ça, c'était dans l'hypothèse où il réussirait à s'échapper vivant des griffes des Inagawa, ce qui était une supposition déjà très forte...

Soudain, un bruit de pas tira l'étudiant de ses pensées. Une seconde plus tard, la porte du bureau s'ouvrit pour laisser entrer une femme que Soichiro aurait préféré ne jamais revoir. Musashi Inagawa était le portrait craché d'Hakaze, avec trente ans de plus et des habits bien plus convenables. Cependant, contrairement à sa nièce, elle ne possédait ni joie ni étincelle de malice dans ses yeux de jade. Même sa bouche affichait un air sévère et incroyablement froid, comme si elle était dénuée de toute émotion humaine. Cette impression était d'autant plus renforcée par le costume gris et terne qu'elle portait. Ses cheveux roux retenus en un chignon traditionnel par une épingle d'or rappelaient le style de l'ère Edo** qu'adoptaient les nobles de l'époque.

Musashi fit signe à ses gardes du corps de rester à l'extérieur pour surveiller le couloir et s'approcha d'un pas lent de son « invité ».

— Eh bien, en voilà une surprise. Quand on m'a dit qu'un membre du clan Yamaguchi souhaitait s'entretenir avec moi, j'ai fait aussi vite que j'ai pu. Après tout, il serait dommage de froisser notre meilleur allié. Quelle déception de voir qu'il ne s'agit que de toi, Soichiro Namatame. 

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*Lesnoms de famille Japonais s'écrivent avec des Kanji (caractères d'originechinoise) unique. Celui du clan Inagawa-kai s'écrit 稲川会

**L'époque d'Edo (江戸時代, Edo jidai) ou période Tokugawa (徳川時代, Tokugawa jidai) est la subdivision traditionnelle de l'histoire du Japon qui commence vers 1600 et se termine vers 1868

Comme deux atomes intriquésWhere stories live. Discover now