Chapitre 35: La proposition de Ryoko

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La fin de l'année approchait à grands pas. E.T.H.E.R courait dans tous les sens depuis une semaine. Et pour cause, puisqu'ils étaient le seul club composé uniquement de dernières années, l'administration leur avait confié l'organisation de la cérémonie de remise des diplômes et le bal de promotion.

Les idées stupides fusaient. Édouard avait suggéré tout d'abord de faire sauter l'île dans un feu d'artifice pour marquer les esprits. Cette proposition avait été aussitôt rejetée, sauf par Flore, qui se demandait si elle pourrait se débarrasser de son frère de la sorte. Masamune, de son côté, souhaitait construire une machine à thé géante, ce qui, même si c'était réalisable, n'allait pas occuper les étudiants bien longtemps sans autre activité à côté. En manque d'imagination, Soichiro s'était contenté de ressortir les brochures des années précédentes, puis était retourné se perdre dans ses calculs.

Toutes ces bêtises commençaient à donner un sérieux mal de crâne à Violette. Plus ils tergiversaient dans le vide, et plus la date butoir approchait. C'est pourquoi, afin de mettre tout le monde d'accord, la jeune femme avait assigné chacun à une tâche bien précise, le temps de trouver elle-même une idée.

De plus, ce jour-là, autre chose de bien plus important occupait son esprit. Le professeur Ryoko lui avait donné rendez-vous à l'observatoire de Shinjuku pour lui parler en privé. Cette demande incongrue avait surpris la scientifique. Normalement, son enseignant l'aurait simplement retenue après un cours, ou serait venu à la cabane pour discuter. Mais en aucun cas il n'aurait envoyé une lettre recommandée directement dans sa boite aux lettres.

Ainsi, elle retrouva l'homme le soir même, aux alentours de vingt heures, au café se situant au sommet de la plus haute tour du quartier le plus animé de la capitale.

Même si l'année s'était terminée depuis avril, la tradition à Rikoukei voulait que les étudiants de dernière année restent jusqu'au Nouvel An pour finaliser leurs travaux et se préparer à la vie professionnelle. Évidemment, Violette avait obtenu son diplôme haut la main, se classant première de l'académie, un demi-point devant Soichiro. Toutefois, elle n'avait pas encore signé le moindre contrat. Pourtant, ce n'étaient pas les offres d'emplois qui manquaient. Chaque jour, elle recevait des dizaines de propositions alléchantes, qu'elle lisait en diagonale. Peut-être était-ce cela qui avait motivé Ryoko à lui parler en tête à tête. Après tout, il était étonnant que l'esprit le plus brillant de ce siècle soit dans une impasse quant à son avenir.

Assise à une table près de la fenêtre, Violette contemplait les lumières de la ville. Elle ne se lassait jamais de ce spectacle féérique, changeant au gré des saisons. Dans ce tableau vivant, un nouvel élément avait d'ailleurs fait son apparition. Sur l'île d'Odaiba, les éclairages des grues illuminaient la mer noire tandis qu'un édifice sortait lentement de Terre.

Un bruit de pas tira la jeune femme de ses pensées. Son professeur, qui avait abandonné sa blouse trouée pour un costume qui ne lui allait pas du tout, la salua avec un large sourire, et prit place en face d'elle.

La soirée débuta sur des banalités. L'étudiante raconta à son mentor les idées des membres du club pour le festival de fin d'année, ce qui ne manqua pas de le faire rire aux éclats. Ils discutèrent également de « travail » et des dernières découvertes, comme les images des satellites de Saturne envoyées par Voyager 2 et l'arrivée sur le marché du premier ordinateur personnel par IBM. Ce ne fut qu'au dessert que Ryoko aborda enfin le motif de son invitation.

— Dis-moi, ma petite Violette, tu te plais à Rikoukei, n'est-ce pas ?

— Énormément, professeur. Je dois vous avouer que, si je pouvais figer le temps, je le ferais sans hésiter.

— Cela ne m'étonne pas de toi, s'amusa l'homme. Mais tes études arrivent à leur terme. Qu'est-ce que tu comptes faire, maintenant ? Tu as déjà une idée ? J'ai cru comprendre que cet idiot de Masamune va poursuivre une formation dans la police scientifique et que Flore s'oriente vers la médecine légale. Édouard, quant à lui, a indiqué qu'il partait au Népal, l'année prochaine.

Violette ne put s'empêcher de glousser à l'annonce de cette orientation absurde, mais sans surprise.

— Mais, toi, tu n'as pas encore rendu ton formulaire. Si tu as des difficultés à choisir, nous, enseignants, somme ici pour te guider.

— C'est vrai. Je dois avouer que j'ai beaucoup de mal à me décider. Il y a énormément de choses que je veux faire, mais j'ai l'impression que mon apprentissage des sciences est loin d'être terminé. Dans l'idéal, j'aimerais pouvoir poursuivre mes études sur le Kvantiki tout en gagnant ma vie en tant que physicienne.

Un large sourire illumina la figure de Ryoko et son œil scintilla.

— C'est ce que je pensais. Mon intuition ne me trompe jamais ! Et, si je te disais que c'est possible ?

— Pardon ?

— Comme tu le sais, grâce à ta contribution, et celle de Soichiro, mes recherches sur le Kvantiki ont beaucoup avancé. Comme tu t'es énormément investie durant toute ta scolarité à Rikoukei, j'ai une proposition à te faire. Effectue ton doctorat ici, avec, cette fois-ci, un véritable sujet de thèse reconnu mondialement : le projet Hakaze, ou la construction d'un réacteur Kvantiki.

— Le... projet Hakaze ? répéta la jeune femme, surprise.

— Oui. Comme c'est elle qui m'a poussé à ressortir cette idée du placard, j'ai décidé de le baptiser ainsi, mais passons. Je pense que ce cursus te permettrait de concilier parfaitement ton désir de t'instruire, celui de rester à Rikoukei, et la possibilité d'obtenir un travail stable. Évidemment, tu seras amenée à donner certains cours, mais je suis convaincu que tu t'en sortiras très bien. Qu'en dis-tu ?

— Vous avez fait la même proposition à Soichiro, n'est-ce pas ?

— Bonne déduction, ma chère élève ! Je ne voulais pas te le dire pour ne pas influencer ta réponse, mais Soichiro a déjà accepté le poste !

Même si elle mourait d'envie de répondre par l'affirmative, Violette contint son excitation. Certes, ce travail semblait parfait pour elle, et lui apportait tout ce qu'elle désirait. Toutefois, elle préférait ne pas prendre de décision hâtive, cette fois-ci. Son avenir était en jeu, après tout. Elle ne pouvait pas se jeter dans l'inconnu et compter sur la chance, comme elle l'avait fait en quittant la France.

— Je vous suis énormément reconnaissante et flattée que vous m'ayez choisie, professeur. Effectivement, je suis très intéressée par cette offre. Est-ce que je peux vous donner ma réponse dans la semaine ? Avec ces histoires de festival de fin d'année, j'ai besoin d'y réfléchir à tête reposée.

— Il n'y a aucun problème. Tu sais où me trouver, de toute façon !

Le dîner s'acheva dans la légèreté vers dix heures et les deux scientifiques rentrèrent lentement sur l'île artificielle. Après avoir salué Ryoko et l'avoir remercié une nouvelle fois pour ce repas et sa proposition, Violette décida de faire un saut à la cabane avant de se coucher, histoire de vérifier si elle était toujours en un seul morceau.

En voyant la lumière allumée, la jeune femme marqua un temps d'arrêt. À tous les coups, Soichiro s'était encore endormi en travaillant, pensa-t-elle. Elle entra donc à l'intérieur, et repéra le président affalé sur la table, le nez sur son cahier. Avec un soupir, elle prit une couverture et la déposa sur les épaules de son amant. C'est à ce moment-là qu'elle remarqua que, contrairement à d'habitude, il ne s'était pas assoupi sur des équations, mais remplissait un formulaire. Il s'agissait de l'offre de doctorat de Ryoko.

Intriguée, Violette s'en empara délicatement et se mit à lire les termes du contrat. Tout cela semblait vraiment alléchant et promettait à un grand avenir. En plus d'être un sujet passionnant, le fait d'être gracieusement payé, logé sur le campus, et avoir une place assurée en tant qu'ingénieur sur le projet Kvantiki aurait fait accepter n'importe qui. Toutefois, la jeune femme, arrivée à la dernière phrase, fronça les sourcils : « En cas de candidature multiple, seul le candidat le plus prometteur sera rémunéré par le laboratoire. Nous nous en excusons par avance. »

Comme deux atomes intriquésWhere stories live. Discover now