Comme deux atomes intriqués

Chapitre 17: L'héritage de Violette

« Pendragon d'Orléans, c'est une artisto. J'ai vu dans un reportage qu'ils boivent le sang des pauvres pour rester jeunes ». « Impossible que je sois amie avec quelqu'un comme elle, je suis certaine qu'elle nous méprise, nous, les gens ordinaires ». « Eh, Violette, c'est vrai que les nobles se mariaient entre frère et sœur ? Ton père est ton oncle, du coup ? ». « Tes ancêtres ne se sont pas fait couper la tête ? Comment ça se fait que tu sois ici ? ». « Ne l'approche pas. Ses parents nous enverraient en prison si tu avais le malheur de la toucher ! ». « Regarde-là, c'est encore cette bobo qui se la joue avec ses tenues à deux mille francs ! ». « Avec tout son argent, elle aurait pu sauver des centaines d'enfants au lieu de bouffer du caviar à tous les repas ! ». « Je déteste cette fille. Quand on sera adulte, tu verras qu'elle utilisera nos impôts pour se payer des voyages à Los Angeles. ». « Eh, Violette ! Mon père t'a vendu une jupe hier, tu penses que tu pourrais nous donner un titre de noblesse ? ». « Elle est dangereuse. À tous les coups, elle désire simplement rétablir la monarchie absolue pour nous asservir. On devrait la tuer avant qu'elle ne le fasse ! ».

On la fuyait. On la jugeait. On la critiquait. On la harcelait. On la méprisait. On l'enviait. On la haïssait. On la plaignait. On la repoussait. On l'ignorait.

Si, au début, la jeune fille souffrait de tout ça et avait essayé d'y mettre un terme de nombreuses fois, sans succès, avec le temps, elle avait fini par ne plus y prêter attention. À force de prendre des coups, son esprit s'était endurci et était devenu insensible aux critiques. Ainsi, elle s'était résignée à cette triste réalité : elle n'avait besoin de personne pour avancer. Elle ignorait les autres comme les autres l'avaient ignorée. Elle riait intérieurement des manières de singes de ses camarades, comme ils avaient ri de son éducation. Elle méprisait les activités stupides et inutiles des adolescents de son âge comme on l'avait méprisée pour avoir aimé les sciences. Elle haïssait son nom comme ses détracteurs le haïssaient. Elle détestait ce monde comme ce monde l'avait détestée.

Mais, était-ce vraiment ce qu'elle voulait ? Évidemment que non. Elle aussi rêvait de s'amuser avec des amis, rire de leurs bêtises, pleurer avec eux devant des films à l'eau de rose, se disputer pour un quignon de pain et se réconcilier comme s'il ne s'était rien passé, tomber amoureuse, rompre, pleurer des heures au téléphone, fuguer de chez elle pour revenir le lendemain. Tant de choses banales qui lui étaient interdites, simplement parce qu'elle était née dans la mauvaise famille.

Non. C'était faux. Tout était de sa propre faute. Elle aurait pu faire taire les critiques, mais elle n'avait même pas essayé. Dès le début, elle s'était résignée. Elle avait accepté comme une fatalité qu'elle n'aurait jamais aucun autre camarade qu'un exemplaire de « L'évolution des idées en physique » dédicacé par Einstein lors de l'une de ses visites chez ses parents.

Et pourtant, en seconde, l'improbable se produisit lorsqu'une jeune fille du nom de May de Valence intégra son lycée. Grâce à elle, trois ans plus tard, Violette trouva le courage de briser les chaînes qui la retenaient prisonnière.

« Si tu as peur que le même cinéma recommence à l'université, pourquoi tu ne ferais pas tes études là où personne ne te connait ? Aux États-Unis, en Australie ou au Japon, je suis certaine que tu passeras pour une simple étudiante étrangère ! Et puis, si la plupart des grands criminels ont pu refaire leur vie ailleurs sous une fausse identité sans jamais être inquiétés, pourquoi pas toi ? Je veux dire, si tu détestes ton nom, tu n'as qu'à le jeter et t'en créer un nouveau. Laisse-moi réfléchir... Par exemple, Violette de Paris ? Attends, non, trop voyant... Violette Martin, alors ? Hum, toujours pas, ça sonne mal... Oh, je l'ai ! Violette Leblanc. C'est suffisamment banal pour te fondre dans la masse, et ce n'est pas moche à l'oreille. Qu'est-ce que tu en dis ? »