Chapitre 26: Faire le deuil

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Cela faisait plusieurs minutes que Soichiro n'avait pas dit un mot. Même si le jeune homme affichait une expression neutre, l'agitation frénétique de ses doigts sur le bureau trahissait sa surprise et son étonnement à la découverte de tout un côté de la personnalité de Violette qui lui était inconnu.

Il pensait, après l'avoir côtoyée tous les jours pendant un peu plus d'un an, et échappé à un gang de yakuzas avec elle, avoir réussi à la cerner et à comprendre ses inquiétudes. Mais il n'en était rien. Plus il relisait les dernières paroles de la gamine à sa cousine, et plus il se rendait compte qu'il ne connaissait presque rien d'elle. Il avait l'impression de découvrir une tout autre personne. Non, c'était pire que cela. Mis à part l'écriture, et le style soutenu, jamais il n'aurait deviné que sa cadette était l'autrice de cette lettre si May ne le lui avait pas dit.

Cette enfant tourmentée était-elle toujours présente au fond de Violette ? E.T.H.E.R n'était-il qu'un moyen pour elle de s'enfermer dans une réalité alternative ? Ou bien se forçait-elle à participer aux activités stupides du club tout en continuant à souffrir en silence ? Avait-elle trouvé ce qu'elle était venue chercher à Tokyo ?

Soichiro secoua la tête en repensant aux mots de sa partenaire, juste avant leur passage sur scène. À ce moment-là, Violette avait laissé parler son cœur et ses émotions avant sa raison, comme elle le faisait en temps normal. Elle-même était consciente d'avoir abandonné une partie de sa propre personnalité, et elle en était heureuse.

Cette pensée arracha un sourire à Soichiro qui rendit la lettre à sa propriétaire.

— La gamine me surprendra toujours, s'amusa-t-il.

— N'est-ce pas ? C'est ce que je me suis dit lorsqu'on a commencé à se fréquenter, lui répondit May sans pouvoir réprimer un gloussement. Il ne se passait pas une semaine sans que je découvre un truc fou sur elle ! Son ascendance, son château, son éducation, les ambitions de sa famille, les reliques des légendes arthuriennes... Avec Violette, c'était comme vivre dans un roman d'aventures plein de rebondissements !

Un rictus déforma les lèvres de la jeune femme tandis que son regard se voila de tristesse.

— Lorsque Garance m'a appris que ces jours étaient désormais derrière moi, je n'ai pas pu m'empêcher d'espérer que sa nouvelle vie serait aussi mauvaise qu'en France, ce qui la forcerait à revenir...

— Quelle attitude de gamine possessive.

— Oui. J'en suis consciente et j'ai honte de le dire, continua la Française à demi-voix. Malheureusement, ou heureusement pour elle, à travers les lettres qu'on s'échangeait chaque semaine, j'ai pu constater que ce n'était pas le cas. Elle était si enthousiaste qu'elle en venait à oublier souvent les formules de politesse pour me raconter directement la dernière explosion du labo, ou bien son avancée dans ses recherches. Alors, dès que j'ai pu, j'ai planifié un voyage pour lui rendre visite. Je devais voir de mes propres yeux la nouvelle vie de Violette pour accepter que celle que j'avais connue au lycée était bel et bien morte. Comme tu peux t'en douter après avoir lu cette lettre, il n'y a eu aucune manifestation pour demander le retour de l'héritière en France. Les gens n'ont même pas remarqué son départ, et les rares qui se sont posé la question se sont réjouis de sa disparition. Non. La véritable raison de ma venue ici, c'est car j'avais besoin de faire le deuil.

Une larme cristalline coula le long de la joue de May. Toutefois, au lieu d'éclater en sanglots, elle l'essuya d'un revers de la main et afficha un sourire rayonnant à son interlocuteur.

— Maintenant que je sais que Violette Pendragon d'Orléans n'est plus, je vais enfin pouvoir tourner la page.

— Cela ne te rend pas triste ?

Comme deux atomes intriquésWhere stories live. Discover now