3 - ANTOINE (✔️)

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La rue demeurait résolument bondée en cette fin d'après-midi et les carrioles de livraisons se bousculaient à l'entrée de l'arrière-cour des Tuileries. Les échafaudages installés pour la construction du raccordement des Tuileries au Louvre gênaient la circulation. Le ton montait entre les ouvriers du chantier et les conducteurs de charrettes.

Antoine plissa le nez, assailli par les odeurs de crottins et de chaux. Si le palais était en proie à une telle effervescence à ses abords, il n'osait imaginer l'état des domestiques entre ses murs.

— Paraît qu'c'est un festin pour l'ambassadeur ottoman cette fois, commenta un homme sec dont la carriole indiquait « Gombert & Fils Charcutiers ».

Probablement le dénommé Gombert, songea distraitement Antoine. À côté de lui, un jeune garçon d'à peine quinze ans regardait la cohue avec l'air de s'ennuyer.

Et voilà le fils.

— J'me d'mande bien pourquoi on s'donne tant d'mal à leur livrer notre meilleure cochonnaille, grommela ce dernier. Ils en mangent même pas !

Antoine jeta un coup d'œil sur les caisses de vins qui s'entassaient dans sa propre charrette.

Je me le demande aussi...

La procession de carrioles avançait avec une lenteur désespérante. Il commençait à avoir soif et ne cessait de lorgner en direction de son chargement. Une centaine de bouteilles s'alignaient dans son dos, et il mourait d'envie d'en ouvrir une pour faire s'écouler le temps plus vite.

Une seule, songea-t-il. Ça ne se verrait pas. Qui irait vérifier le compte exact dans la fièvre des préparatifs ? Et puis quand bien même... une seule bouteille, ce n'était pas grand-chose.

Comme pour le rappeler à l'ordre, la file progressa, réduisant un peu plus l'espoir de passer inaperçu. Les grilles de fer doré se dressèrent face à lui.

Un garde jeta un rapide coup d'œil sur la livraison. Il hocha la tête et lui fit signe d'avancer dans l'enceinte du palais.

Dans la cour, des domestiques galopaient en tous sens pour décharger les marchandises sous les injonctions brutales d'un majordome.

— Marc, Michel, les valets d'écurie vous réclament. Gabriel, ramenez ces asperges aux cuisines, c'est urgent, vite enfin ! Et ces pommes de terre ? Vous espérez qu'elles germent ? Dites aussi à Marie de venir immédiatement !

Il comprit pourquoi l'attente avait semblé si longue. Une magicienne au visage boudeur inspectait chaque livraison avec application avant de laisser les domestiques s'affairer. Son excès de zèle irritait ostensiblement le majordome, obligé d'obtenir son approbation pour déplacer la moindre botte de radis.

Une sorcière ici ? Curieux.

Les rares fois où il avait aperçu ce genre de créatures, elles chaperonnaient une demoiselle bien née en montrant les dents aux importuns assez vaillants pour s'approcher. Il la détailla avec méfiance.

Plutôt jeune, elle arborait des traits agréables malgré son expression revêche. De longs cheveux noirs brillants semblaient couler de son crâne en tresses sévères avant de s'enrouler sur sa nuque. L'austérité de son visage était renforcée par le col montant de sa robe et ses manches terminées par une paire de gants. À croire qu'elle redoutait d'exposer le moindre pouce de peau.

Une prude, songea-t-il en reniflant avec ironie.

Il nota son teint bruni.

Espagnole, peut-être ?

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