5 - ANTOINE (✔️)

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La cellule dans laquelle on les avait parqués tenait plus du cachot médiéval que de la salle d'interrogatoire promise. Adossé aux pierres noires, Antoine sentait une légère humidité tremper sa veste et une odeur de moisi lui soulever le cœur.

La magicienne faisait les cent pas en marmonnant des propos inintelligibles. Dans sa course à travers le palais, elle avait perdu plusieurs épingles et des mèches de cheveux s'échappaient de ses tresses, achevant de lui donner un air de folle.

Antoine ignorait si c'était par manque d'espace qu'ils avaient été placés dans la même cellule, ou si les gardes n'avaient tout simplement pas su comment traiter l'affaire. Une magicienne et un ordinaire suspectés de meurtre, on pouvait dire que leur cas sortait des faits divers habituels. Il devinait le frétillement de la presse. Les rédacteurs se frotteraient probablement les mains ce soir en composant leurs gros titres.

— Il ne va pas tarder maintenant... grommela sa compagne de détention.

Antoine redressa la tête et lui jeta un regard exaspéré.

— Qui donc ? grinça-t-il.

Elle s'immobilisa pour le toiser avec hauteur.

— Le recteur de l'académie. Il va forcément intervenir.

Un rire sarcastique secoua les épaules du jeune homme.

— Vous ne pouvez pas être si naïve. Personne ne va venir vous chercher si ce n'est pour vous mener à notre propre procès.

— Vous ignorez le fonctionnement de nos institutions, répliqua-t-elle en rajustant ses gants.

— Oh croyez-moi, j'en sais suffisamment...

Elle leva les yeux au plafond. Il reprit :

— Réfléchissez : nous représentons deux coupables idéaux. Le haut mage a été assassiné par un magicien, et par une coïncidence extraordinaire, vous, magicienne, êtes la dernière à avoir franchi le seuil de son bureau.

— Et vous, pauvre ordinaire innocent, vous vous trouviez par le plus pur des hasards dans le passage ayant permis au meurtrier de s'enfuir, rétorqua-t-elle avec acidité.

— Exact, soupira-t-il. Il n'y a rien à faire, nous serons tous les deux jugés coupables. Et je risque bien plus gros que vous.

Pour tromper sa nervosité, Antoine se dirigea vers la petite ouverture clôturée de barreaux qui servait d'unique fenêtre dans la cellule.

Il était condamné. Il le pressentait dans chacune des fibres de son corps et cette perspective le faisait frémir comme un chiot qui vient de naître. Il serait emprisonné à vie, s'il avait de la chance... Sinon le bagne. Peut-être Cayenne ou une autre région reculée infestée d'eau stagnante et d'insectes. Il mourrait d'épuisement ou de fièvre. Peut-être les deux.

Il agrippa les barres de fer et testa leur solidité pour stopper le tremblement de ses mains.

— Vous comptez vous évader ? se moqua la magicienne dans son dos.

Il se tourna brusquement.

— Si vous m'aidiez, nous pourrions sortir d'ici.

— Hors de question. Cela serait perçu comme un aveu. Tentez quoi que ce soit et je me ferais un plaisir de vous dénoncer.

Antoine plissa le nez avec dégoût.

— Je n'en attendais pas moins d'une sorcière dans votre genre.

Les mots obtinrent l'effet escompté et la jeune femme se raidit.

Il se rassit contre le mur et ferma les yeux.

Les heures s'écoulèrent dans un silence morose. Lorsqu'un gardien de prison se présenta avec deux bols de gruau et une miche de pain sec comme de la brique, Antoine se précipita sur lui.

— Merci, souffla-t-il.

L'homme hocha la tête, surpris et un peu méfiant. Il jeta un regard en coin sur la magicienne renfrognée et une expression d'aversion courut sur ses traits. Antoine nota la discrète chaînette de fer qui pendait à son cou.

— La compagnie des magiciens me met mal à l'aise moi aussi, ajouta-t-il avec un sourire de connivence.

Pour appuyer ses dires, il porta la main à sa médaille de baptême. Le gardien suivit son mouvement. Il s'humecta les lèvres, et jeta un coup d'œil par-dessus son épaule.

— C'est vrai ce qu'on raconte ? Vous avez aidé cette sorcière à assassiner le haut mage ?

Antoine secoua la tête.

— Je n'ai rien fait de tel.

— Dommage, grimaça l'homme.

Il désigna la médaille.

— Vous voulez que j'appelle un prêtre ? Je sais pas si l'un d'eux acceptera de s'approcher d'elle, mais...

— Un prêtre ? répéta Antoine sans comprendre.

— Bein oui, pour la confession.

Un serpent replia ses anneaux glacés autour des poumons du jeune homme. De l'autre côté de la cellule, la magicienne s'était figée pour suivre l'échange.

— Mais... et le procès ? Le jugement n'a même pas été rendu ! souffla-t-il.

Le gardien lui jeta un regard désolé.

— Je ne sais pas... ils préparent une estrade sur la place, en face de la prison. On dit qu'ils veulent faire un exemple.

— La peine de mort est abolie depuis quatre ans pour les crimes politiques, releva la magicienne.

L'homme sursauta et recula d'un pas. Il esquissa un rapide signe de croix avant de cracher :

— Faut croire qu'ils font une exception pour les démons de ton espèce... Tu vas pouvoir retrouver les enfers d'où l'on t'a tirée à la naissance.

L'atmosphère de la cellule changea d'un coup. Antoine le sentit sur sa peau. Un crépitement. Comme la piqûre de l'air froid en hiver. Une force magnétique qui dressait chacun de ses cheveux sur son crâne et lui donnait la chair de poule.

La magicienne fondit sur lui, le visage furieux. Ses mèches brunes virevoltaient, mues par une énergie invisible. Le gardien pâlit et plongea la main dans son col pour détacher la petite croix de fer suspendue à son cou. Il la brandit en avant comme si ce ridicule symbole pouvait le protéger.

— Que savez-vous de l'enfer ? siffla-t-elle.

Le maton tremblait comme une feuille, et Antoine devait bien avouer qu'il n'en menait pas large non plus.

— Je sais que c'est de là que vous puisez vos pouvoirs contre nature ! bredouilla l'homme.

S'il semblait sur le point de défaillir, il ne manquait pas d'un certain courage.

La magicienne afficha une moue écœurée et esquissa un geste de la main. Il y eut un grésillement et le gardien poussa un glapissement de douleur. Avec un tintement métallique, la croix de fer glissa au sol, fumante.

— Diablesse ! siffla l'homme en serrant sa paume brûlée contre sa poitrine. J'assisterai avec joie à ton exécution et cracherai sur ta tête lorsqu'elle tombera !

Puis comme, s'il craignait de nouvelles représailles, il se précipita sur la porte de la cellule. Antoine faillit se jeter en avant pour le retenir, mais la magicienne lui barrait la voie et il ne tenait pas à approcher une sorcière en colère. Pas sans y être forcé du moins.

Le gardien claqua le lourd battant et le verrouilla dans un cliquetis.

— Vous ne nous aidez pas... commença à grommeler Antoine.

Lentement, elle se tourna vers lui.

— Vous avez quelque chose à ajouter ?

Il déglutit, la bouche asséchée par le ton aride de la jeune femme et leva les mains en l'air.

— Sans façon.

— Alors, dépêchons-nous de sortir d'ici.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now