8 - MIRABELLE (2/2)(✔️)

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Un individu malingre les yeux bouffis et les cheveux en pagaille les toisa en plissant les paupières. Il brandissait de sa main gauche un absurde candélabre rococo surmonté d'une unique chandelle.

— Jean ?

— Hum. Ça dépend. C'est pour quoi ?

L'homme abaissa légèrement son arme, sans pour autant se départir de son expression méfiante. Sa redingote enfilée à la hâte et usée jusqu'à la trame pendillait tristement le long de son corps. Malgré tout, la coupe et les tissus ne mentaient pas.

Des vêtements de gentilhomme, constata Mirabelle tandis qu'Antoine avançait d'un pas prudent pour exposer son visage à la lueur de la bougie.

— C'est moi, Antoine.

— Antoine ? Antoine Reynaud ? Qu'est-ce ce que tu fabriques ici ?

Le ton était tout sauf accueillant.

— J'ai besoin de ton aide. Des ennuis avec la garde impériale.

L'homme cracha par terre, le regard embrasé.

— Ces démons grouillent dans toutes les rues depuis le début de la soirée. C'est toi qu'ils cherchent ? Qu'est-ce qu'ils te veulent encore ?

Encore ? songea Mirabelle en plissant les yeux.

Antoine s'humecta les lèvres et désigna le canon pointé sur lui.

— Longue histoire. Peux-tu ranger ça et nous laisser entrer ?

Jean parut seulement s'apercevoir qu'il le tenait toujours en joue et redressa l'arme. Il s'appuya sur la crosse comme s'il s'agissait d'une canne. Son regard s'arrêta sur Mirabelle.

— Qui est-ce ?

— Une amie. Elle m'aide... en quelque sorte, déclara Antoine à contrecœur comme si l'admettre lui brûlait la langue.

— Ouais, je les connais tes amies, ricana Jean en gratifiant l'ingénieur d'une bourrade. Même en cavale, tu joues les jolis cœurs hein ?

Il décocha un clin d'œil entendu à la jeune femme qui se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux.

— Non, protesta Antoine. Je t'assure que cette fois...

— À d'autres ! Allez, restez pas là.

Il s'écarta pour les laisser passer et les guida dans un corridor obscur aux boiseries écaillées. La lumière du candélabre entre ses mains faisait glisser leurs ombres sur les sculptures grimaçantes qui rehaussaient les corniches. Au-dessus de leurs têtes, un plafond peint affichait une ronde de faunes inquiétants mouchetés de moisissure.

— Quel est cet endroit ? chuchota Mirabelle à Antoine.

— Un théâtre.

— Merci, je vois bien que c'est un théâtre !

— C'est mon théâtre ! intervint Jean sans se retourner ni dissimuler son orgueil. Je suis le gardien des lieux.

Il s'arrêta devant une double porte vermoulue qui semblait peiner à tenir sur ses propres gonds.

— Et voici mon royaume.

D'un geste cabotin, il en poussa les battants dont les gémissements lancinants arrachèrent un frisson à la magicienne.

Une vaste salle de spectacle se déploya sous la lumière tremblante d'une dizaine de bougies amalgamées sur la scène. Dans la semi-pénombre, elle aurait pu imaginer se trouver au cœur d'un cabaret comme il en existait des centaines dans la capitale, mais un examen approfondi suffit à la détromper. Des coulures de suies encrassaient les stucs et les arches. Les velours autrefois rouges qui recouvraient l'armée de fauteuils face à l'orchestre avaient perdu de leur superbe et n'affichaient plus qu'une teinte rouille fatiguée.

Les Accords ÉlectriquesWhere stories live. Discover now