Chapitre 13

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     Nous sommes allongés sur son lit, les yeux fixés sur le plafond blanc, comme si l'on pouvait voir les étoiles briller. En réalité, c'est dans nos yeux qu'elles scintillent. Aucun de nous deux ne parle. Nos bras se touchent, nos souffles sont coordonnés.

-      Je m'excuse, souffle Luke, brisant le silence. Je regrette d'avoir gâché cette soirée avec mes petites histoires d'enfant.

-      Joyeux Noël, Luke, dis-je seulement,  coupant court à ses préoccupations.

Il rigole doucement et un sourire étire ses lèvres.

-      Joyeux Noël, Diana.

Je me tourne vers lui et l'observe attentivement. Sa mâchoire carrée et saillante est hermétiquement fermée et ses joues rasées de près sont légèrement roses. Je prends une grande inspiration et me lance. J'ai besoin de dire ce que j'ai sur le cœur, et Luke est clairement la personne adéquate.

-      Tu sais, ça fait plus de trois ans que je n'ai pas entendu cette phrase. Et aujourd'hui, alors que je suis là avec toi et ta mère et que vous êtes ce qui se rapproche le plus d'une famille pour moi, je me rends compte que ce n'est pas vraiment mon Ange qui me manque. Enfin je veux dire, évidemment qu'il me manque, mais c'est surtout tout ce qu'il avait amené avec lui dans ma vie – et qu'il a remporté – qui me manque.
« Ma mère a beau faire comme si elle ne le connaissait pas, il a changé un tas de choses dans sa vie à elle aussi. Devant elle, il jouait le garçon super protecteur envers moi, celui qui était ouvert au reste du monde et qui n'avait peur de rien. Il ne se prenait pas la tête, il avait toujours le sourire. Elle pensait comme tout le monde à la première impression, qu'il jouait un jeu, qu'il s'inventait une image. Mais c'était sa vraie personnalité, et il n'était pas faux. Ce n'était pas un jeu de vivre dans sa perception de vivre.

Je marque un temps d'arrêt, les yeux toujours rivés sur le profil du jeune homme.

-      Il faut qu'on arrête de se mentir, qu'on arrête de se répéter les mêmes phrases, encore et encore, simplement parce qu'on les trouve agréable à entendre. On sait tous très bien que les autres ne nous aimes pas pour ce que l'on est, mais pour ce qu'on l'on veut bien leur montrer. Et lorsque qu'ils découvrent notre vraie personne, ils nous détestent, parce que tout le monde déteste la vérité, elle est beaucoup trop cruelle.

« Mais, tu sais, au départ, les humains étaient fait pour se détester. Parfois c'est le cas, et parfois, ça ne marche pas. Parfois, les gens s'aiment tellement qu'ils se marient, et ils restent ensemble jusqu'à la fin de leur vie. Mais tu vois, ça, ce sont les erreurs de la nature. Et c'est ce qu'il a de plus beau. Alors n'ai pas peur de tes erreurs, elles sont belles, elles sont humaines, elles sont bien réelles mais qu'est-ce qu'on s'en fiche. Ce n'est pas ça qui est important. L'important, c'est la façon dont tu les surmontes. Je me fiche de ce que tu as fait ce soir ou tous les autres jours de ta vie, Luke. Mais ce dont je ne me fiche pas, c'est ce que tu es. Jamais je n'oublierais celui que tu es. Je te le jure.

Il se tourne vers moi, les yeux pétillants de joie et enfouie son visage dans mon cou avant de murmurer d'une voix douce :

-      Tu ne sais même pas à quel point j'apprécie ce que tu viens de me dire. Toute cette histoire, ça me rappelle ce que je me suis dit un jour. Quand j'étais plus jeune, je regardais les garçons de dix-sept jouer au football en bas de ma rue, et tout paraissait si beau pour eux. Ils avaient si heureux tous ensemble, à se passer la balle avec un grand sourire.

« Et aujourd'hui, je sais quelque chose de nouveau. De loin, la vie des gens parait lisse et sans accroc. Mais lorsque tu t'approches un peu plus, lorsque tu finis par tomber dans les problèmes à force de te pencher, tu piges à quel point tout ça, c'est juste un putain de gros bordel sans fin. Et je suis content que tu sois là pour me tirer de toute cette merde.

Je souris faiblement et pose ma joue sur mon épaule. Son bras m'entoure et me sert fort contre lui. Je comprends ce qu'il dit mieux que personne. Moi aussi, quand j'étais petite, j'enviais les filles plus grandes que moi. Je pensais que ce serait si beau de grandir, de sortir avec ses amis, d'aller au cinéma et de faire du shopping en mangeant une glace. Je pensais que ce serait cool de gérer son propre argent, je pensais que l'amour, c'était la chose la plus belle au monde. Quelle blague ! Quelle grosse blague !

-      J'veux pas que tu partes, souffle-t-il, le nez dans mon cou.

-      J'veux pas partir non plus.

-      Non, j'veux dire, j'veux pas que tu quittes cette planète, j'veux pas que tu m'laisses tout seul encore.

Je soupire. C'était si simple de penser à partir lorsque personne ne tenait à moi.

-      Je suis désolée, Luke, mais tu sais bien...

-      Non, je ne sais pas ! crie-t-il en se redressant d'un coup. Et toi non plus, d'ailleurs. Tu ne sais pas comme c'est dur de penser qu'un jour, un jour qui se rapproche à grands pas, je me réveillerais et tu ne seras même plus là. C'est tellement dur de se dire que tu vas finir par disparaitre, comme un rêve devenu réalité pour une durée limitée, comme un mirage qui s'effacerait trop lentement. J'te promets, Diana, ce que tu me fais, c'est de la torture.

Je secoue la tête, en vain.

-      Je suis désolée, je répète.

-      Alors ne pars pas ! Je ne comprends pas pourquoi tu t'imposes ça. Enfin bref, dit-il en chassant l'air de main, j'en ai marre d'avoir cette conversation, parce que je sais que je n'obtiendrai rien de de ta part. J'ai bien compris qu'il te manquait, que tu voulais le rejoindre et que vivre ici sans lui t'étais difficile, 'ai compris tout ça, Diana ! crie-t-il encore.

Pour la deuxième fois de la soirée, il est en colère, et cette fois, c'est contre moi. Je fixe le sol, tournant et retournant dans mon crâne les mêmes mots qui ne veulent pas sortir de ma bouche.

Bien sûr, qu'il ne comprend pas. Ce n'est pas une sorte de défi, ni même un pari que je mets en place. Et je ne veux pas qu'il me voit comme ma mère voyait mon Ange – comme une comédienne, une pessimiste. Mais à peine l'idée de rejoindre mon ange m'avait-elle effleurée que j'étais déjà contaminée. Ce n'est pas moi qui le veux, c'est mon corps, mon cœur, mon âme. C'est comme la peinture au contact de l'eau. Aussitôt, elle se dissout, elle se propage dans chaque particule. Eh bien, il en est ainsi avec moi. La mort c'est infiltrée dans mon être, dans chaque molécule de mon corps, et je ne peux plus rien faire pour y remédier.

J'aurais aimé dire tout ça à Luke. Ça plus tout le reste, tout ce que j'ai sur le cœur. Mais la seule chose qui veut bien sortir, ce sont des larmes.

Je pleure, j'éclate en sanglots parce que j'en ai assez de tout garder au fond de moi. C'est comme une guerre continuelle contre moi-même, et j'en n'en peux plus. Je ne veux plus me battre, je n'en ai plus la force.

Aussitôt, le visage de Luke se détend et il tend un bras dans ma direction.

-      Diana, eh... Pourquoi tu pleures ? demande-t-il en essuyant mes joues de ses pouces. Est-ce que j'ai dit quelque chose de vraiment méchant ?

-      Non, ce n'est pas ça... je suffoque entre deux sanglots. C'est juste que... J'peux pas, j'y arrive pas...

Il s'approche de moi et fait glisser son bras derrière ma nuque.

-      Pourquoi est-ce que tu ne me dis pas simplement ce qui ne va pas ?

-      Parce que  c'est plus fort que moi... Je suis désolée.

Il s'appuie sur ses avant-bras et plonge ses yeux dans les miens.

-      Est-ce que c'est plus facile pour toi de le dire à l'écrit ?

-      J'en sais rien. Les mots ne reflètent rien. C'est juste des lettres qui se pourchassent sur le papier, pour savoir laquelle commencera tel ou tel mot. Mais dans toutes ces lettres, tu ne retrouveras jamais une partie de moi. Parce que je pourrais te dire n'importe quoi, tu y croirais. C'est tellement trompeur... C'est comme l'amour, au final.

Il hoche la tête avant de se laisser lourdement retomber sur l'oreiller. Il a sûrement décidé d'abandonner la partie pour ce soir, comme si la possibilité de ne rien pouvoir tiré de meilleur de ma personne l'avait enfin effleuré.

365 Jours avant la Mort - [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant