Chapitre 9 - part. 2

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« Is it true that pain is beauty? »
Mrs. Potato Head // Melanie Martinez (2015)

Lorsque je rentre chez moi, tard dans la nuit, la lumière du salon brille à travers la fenêtre. Pourtant, j'étais sure de l'avoir éteinte avant de partir chez Luke.

Je pousse la porte, déjà ouverte, et tombe nez-à-nez avec ma mère.

Elle ne s'attendait pas à me croiser, ça se voit à ses yeux surpris. Peut-être a-t-elle oublié qu'elle a une fille, qui, accessoirement, vit encore à la maison en raison de son jeune âge ? Bien sûr qu'elle l'a oublié. Elle est tellement prise à ses occupations que je parierais qu'elle oublie son prénom, de temps en temps. Il faut dire que moi aussi, je suis un peu étonnée de la voir là, au milieu du salon, dans ses pantoufles de panda comme si elle passait le plus clair de son temps à la maison.

- Bonjour. Tu étais où ? m'interroge-t-elle en piochant une cuillère de céréales dans son bol.

- Chez un ami.

Elle hoche seulement la tête et ne relève pas le fait que j'étais chez un garçon, beaucoup trop occupée à chercher une remarque cinglante pour me la jeter en pleine figure.

- Tu t'es enfin décidée à briser ton vœu de silence ? plaisante-t-elle, sur un ton qui n'a pourtant rien de taquin.

Un petit sourire rieur étire le coin de sa bouche et je regrette déjà d'être rentré ce soir. Luke m'avait même proposé de dormir chez lui. Je n'aurais pas dû décliner l'offre.

Je croise les bras sur ma poitrine et la défie du regard.

- Tu devrais t'inquiéter pour moi plutôt que de te moquer, maman. Je suis en dépression. Et je vais peut-être bientôt mourir, sûrement dans 26 jours. Parce que ça fera un an qu'il sera mort, un an que j'aurai cessé d'exister à tes yeux.

Elle éclate de rire et écarte les bras, la tête penchée en arrière

- J'y crois pas ! T'es restée sur cette histoire bidon ! Ah oui, ça fait mal lorsqu'on réalise qu'on finira sa vie seul.

Je fais de mon mieux pour retenir mes larmes. C'est toujours pareil lorsqu'elle est dans la même pièce que moi. Elle ne peut s'empêcher de me pousser dans mes retranchements et de me provoquer. Un jour, je m'énerverais et je lui ferais mal à son tour, que ce soit ma mère ou non.

- Tu es une vraie gamine, maman. Tu agis comme si tu avais huit ans.

Elle lève les yeux, toujours hilare. Je sers les poings. Je suis à un poil de craquer. Et si je me laisse aller, je ne sais si c'est des larmes qui sortiraient de mes yeux, ou des flammes.

- Tu te rends compte ? Tu as réussi à oublier ta propre fille.

Ses pupilles se rétractent et elle fait un pas dans ma direction. Son sourire à disparu et son visage s'est renfermé.

- Chérie... commence-t-elle avant de me serrer dans ses bras. Je ne t'ai pas abandonnée ni oubliée, je t'ai laissé du temps pour faire ton deuil.

Je n'en crois pas un mot. Elle n'est jamais à la maison, pas même lorsque j'ai besoin d'elle. Elle a laissé son rôle de mère pour quelqu'un de plus tenace qu'elle, pour la seule raison qu'elle en a assez de mon chagrin. Je la comprends, au fond. Mais qu'elle n'ose pas dire qu'elle me laisse du temps pour m'en remettre. J'en ai à revendre moi, du temps !

- T'as pas changé, hein, maman. T'es toujours une sacrée menteuse. Je ne crois pas un seul mot de ce que tu dis. La seule personne ici qui n'a pas fait son deuil, c'est toi. Tu t'en veux encore pour le départ de papa alors que tu as tout fait pour le faire partir. Moi, j'avais besoin d'un père, comme tous les enfants. Mais ça, ça te passe au-dessus de la tête. Tant que ton petit bonheur personnel va bien, il n'y a pas de problème.

«caught up in a game» - that was the last I heard" (1)

(1) Blue Jeans // Lana Del Rey (2012))

Si on y réfléchit bien, c'est exactement cela. Je suis prise dans un jeu interminable, coincée entre la tristesse et les mensonges. Les gens mentent, sans savoir que chaque mensonge a son poids, et que tôt ou tard, il faudra sans débarrasser. Toute mon enfance on m'a fait croire à des choses ridicules : le père Noël, les cloches de Pâques, la petite souris, le marchand de sable. C'étaient de beaux mensonges, de ceux qui partent d'une bonne attention et qui font rêver. Mais lorsque l'on découvre la vérité, on est juste déçu, et on en veut aux autres de nous avoir caché la vérité pendant tant d'années.

Alors pour se venger, on fait croire la même chose à nos propres enfants, comme pour répandre la justice autour de soi, pour essayer de pardonner aux plus grands.

- Didi, c'est pourtant vrai. Je comprends que tu m'en veuille, mais j'ai fait ça pour te protéger.

Je grince des dents. Elle utilise ce surnom depuis que j'ai 2 ans et je l'ai toujours trouvé hideux. Je pensais que c'était le genre de choses qu'elle avait oublié, avec toutes les autres.

- Bien sûr, oui. C'est ce que tout le monde dit, mais c'est aussi ce que personne ne pense. La vérité, c'est que t'en avais marre de moi, parce que tu ne l'aimais pas ce garçon, et que tu refusais que je reste avec lui. Alors c'était comme une bénédiction pour toi qu'il rejoigne sa mère, parce que tu n'avais plus à me protéger.

Je parle d'une voix très calme, mais au fond de moi, j'ai juste envie d'éclater par terre le vase en verre qui trône sur la table et de tout jeter à la poubelle. Mais je ne fais rien de tout cela, bien évidemment. Je me contente de tourner les talons, et de monter dans ma chambre, sous le regard faussement désolé de ma mère. Si je ne la connaissais pas, j'y aurais peut-être cru. Mais je sais que ce n'est qu'une couverture.

J'ouvre la fenêtre et un vent frais envahi la pièce. Je m'assois sur le rebord, à environ 5 mètres du sol, en faisant néanmoins attention de ne pas tomber.

Et je me demande ce que diraient les gens si je sautais. Est-ce qu'ils me verraient comme une lâche ? Est-ce qu'ils seraient désolés ? Viendraient-ils à mon enterrement, comme Luke avait dit qu'il ferait, ou bien m'oublieraient-ils comme si je n'avais jamais existé ?

J'aurais dû prendre le temps de me poser les questions nécessaires avant de m'impose un compte à rebours de 365 jours, comme par exemple sur la façon dont je me tuerais. Mais je n'ai pas à réfléchir bien longtemps, c'est déjà tout trouvé : je sauterais de haut, de très haut. Pas simplement de ma fenêtre ou même du toit, mais d'un avion. Et si personne ne veux m'emmener au-delà des nuages, alors je monterais sur la falaise la plus proche et je me laisserais tomber, comme dans un rêve. Ce ne sera pas un suicide, juste un envol vers un monde meilleur.

Et pourquoi est-ce que je ne prendrais pas juste un parachute pour recommencer à ma guise, plutôt que de me tuer ? Parce que je veux voler de mes propres ailes, ces ailes que tout le monde croit inexistantes, simplement parce que l'on pense que c'est impossible et incompatible avec la race humaine. Je sais que je m'écraserais, bien sûr, et je ne pourrais jamais recommencer, parce que je serais morte. Mais je ne sentirais même pas la douleur lorsque je tomberais lourdement sur le sol et que mon crâne explosera en mille morceaux. La plupart des gens meurt d'une crise cardiaque au cours de la chute. Est-ce pareil pour un saut dans le vide, un saut dans un rêve ?

Je suis rassurée qu'il me reste encore 26 jours. Je ne me sens pas prête à passer le pas.

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Voilà pour la seconde partie du chapitre 9 😌

Vous avez fait la connaissance de la mère de Diana : comment la trouvez-vous ? ❤️

365 Jours avant la Mort - [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant