Lettre n°1

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Cher Luke,

Aujourd'hui, tu m'as dit que tu m'aimais. Au début, je n'ai pas su comment le prendre, parce que ça ne pouvait être qu'une blague, ou un mensonge destiné à m'enlever mes sales idées de la tête.

Et puis, j'ai rougis et j'ai continué d'avancer comme si de rien n'était pour cacher mon embarras. Je n'ai jamais vraiment su parler aux gens comme les autres. Je n'ai jamais pu regarder mon interlocuteur dans les yeux – c'est gênant – et je n'ai jamais pu parler tout en souriant. Pour moi, ce sont deux opérations impossibles à réaliser en même temps. Cela dit, je m'entraîne parfois devant mon miroir à passer pour une fille aimable et souriante, et parfois, je crois à mon petit jeu. Mais ça ne marche jamais devant une vraie personne, parce que je suis bien trop timide, vois-tu ?

Lorsque tu m'as demandé ce que je dirais à mon Ange s'il était là, juste devant moi, en chair et en os, j'ai réussi à te répondre, mais ce n'était pas vraiment la réponse que tu attendais. Et après cela, j'ai eu l'impression que d'une façon ou d'une autre, tu m'en voulais d'avoir dit ça. J'aurais voulu ravaler mes mots, et tout le reste. Pourtant, ce n'était rien que la vérité. Peut-être que toi tu aurais pris Allison dans tes bras et que tu l'aurais suppliée de revenir parmi nous pour toujours. Mais moi, j'aurais simplement dit à mon Ange d'aller voir ailleurs. Il est parti, et je me suis faite à cette idée. De toute façon, il ne pourra jamais revenir, alors je te prie d'arrêter avec tes questions insensées, Luke.

Nous sommes peut-être tous les deux plus ou moins dans le même cas – une partie vitale de notre corps endolori manquante – mais ça ne fait pas de nous des jumeaux. Allison ne s'est pas suicidée, même si ça y ressemble. Elle était heureuse, elle. Mon ange, non. Ce n'est pas que je trouve ça lâche de se tuer, quoique peut-être un peu. Mais, c'est-à-dire que je m'apprête à faire la même chose.

Je ne t'écris pas cette lettre pour faire joli. Je te l'écris parce que tu me l'avais demandé un jour, tu te souviens ? Tu m'avais dit "est-ce que tu écriras tout ce qu'il y a au fond de toi dans une lettre avant de partir?" et j'avais perçu cela comme une demande d'explication sur ce que je suis. Et comme d'habitude, je n'avais pas répondu, ou plutôt, j'avais esquivée la question, parce que je ne suis même pas assez forte pour répondre face à tes yeux clairs.

Ça fait 16 ans que je vis avec cette même phobie : celle de mourir sans avoir libéré tout ce que je retenais au fond de moi. J'aimerais te dire des tas de choses. Tout au long de la journée, je rumine des idées noires, mais maintenant que je suis devant une feuille de papier, je ne sais même pas quoi dire.

Peut-être que c'est de ça dont tu parlais lorsque tu disais que parfois, tu avais une bonne idée, mais que le lendemain, elle te paraissait ridicule.

C'est vraiment ridicule ce que je suis en train de faire.

Toujours est-il que j'aimerais te dire, maintenant, pourquoi je me mets dans un état pareil. Tu me dis tout le temps « Explique moi ce qui ne tourne pas rond chez toi. » J'aimerais qu'on me l'explique à moi aussi, parce que je ne comprends pas plus que toi.

J'ai peur, depuis le début, de ne pas pouvoir remercier toutes les personnes à qui je dois tout un tas de choses, puis je me rappelle que tu es la seule personne concernée. Mais par-dessus tout, j'ai peur de mourir sans avoir pu te dire "je t'aime" en retour.

Je n'ai jamais compris comment tu faisais pour vivre comme ça. Je veux dire par là, tu as perdu ta copine et pourtant, c'est toi qui dis "je t'aime" le plus facilement de nous deux. Alors pourquoi est-ce si dur avec moi ? Pourquoi est-ce que rien n'est facile dans ma vie, alors que ça l'est dans la tienne ? Je suis vraiment égoïste, mais je voudrais que ce soit aussi simple pour moi que ça l'est pour toi.

Si je t'écris ce soir, alors qu'il me reste encore 8 jours à vivre, c'est parce que ça commence à me monter à la tête, je veux dire, sérieusement, un peu comme l'excitation d'un enfant de quatre ans dans la voiture lorsqu'il va à la fête foraine ou dans un parc d'attraction.

Et le pire dans tout cela, c'est que ça a beau être ma vie, et j'ai beau être la seule à la commander, je ne sais absolument pas comment ça va se terminer. Je n'en ai aucune idée.

J'ai peur de ne pas savoir choisir, de ne pas réussir à écouter mon cœur parce qu'il ne parle plus. Je sais que si tu étais à côté de moi, tu me dirais qu'il n'y pas de choix à faire, parce qu'il était fait au moment même où je t'ai rencontré. Tu me dirais que je dois vivre, que je suis faite pour ça.

Tu as l'air tellement naïf, Luke. Et pourtant, tu en connais un rayon de plus que moi. C'est simplement que toi, tu ne te prends pas la tête, tu as seulement arrêté de te battre contre ta nature, contre ta vie.

J'écris ces mots comme ils me viennent à l'esprit, et lorsque je m'arrête pour me relire, j'ai peur de ne plus savoir quoi dire. J'ai peur que la magie se casse et que mes pensées s'envolent.

Tu vois, j'ai peur de tout un tas de chose. Mais j'ai surtout peur de la vie.

J'ai ma propre opinion du monde, de la politique et de tout le reste, mais pourtant, je ne fais pas partie des personnes à qui on demande leur avis. Toi aussi, tu n'en fais pas partie. Et tu es content de cela. Moi, je ne sais pas me réjouir des bonnes choses, je ne sais pas voir le bien chez les gens. Je ne suis pas aimable, pas souriante, et en plus de ça, je suis pessimiste au possible. Je ne suis pas bien, Luke. Alors ne reste pas avec moi.

Je ne sais pas comment clore cette lettre, mais de toute façon, tu ne l'as verras peut-être jamais.

Je te dis juste à bientôt.

Et Luke, n'oublie jamais que je t'aime, même si je n'arrive pas à le dire. Parce que chaque fois que je respire, c'est comme si l'air que j'inspirais chuchotait en moi des centaines de "je t'aime" qui t'étaient destinés.

Diana.

PS : Faut que j'te dise aussi, j'suis vraiment désolée d'être comme ça.

365 Jours avant la Mort - [Terminée]Where stories live. Discover now