CHAPITRE VINGT

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Pas de musique pour une fois. Parce qu'aucune musique n'arrive à bien résumer ce chapitre... (Mis à part une seule mais qui sera utilisée pour un chapitre bien plus dramatique qui arrivera très bientôt).


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Et merde, dans quoi est-ce que je me suis embarquée ?

Cette simple question s'impose à son esprit dès l'instant où l'adolescente passe le seuil de la pièce du café qui sert de débarras. Elle marque un temps d'arrêt tandis que Léon saisit l'une des deux chaises, disposées de part et d'autre d'une table placée au centre de la pièce, qu'il retourne pour s'y installer à califourchon. Le débarras ne comporte qu'une table, sur laquelle est posé quelques feuilles de papier et un stylo-plume, deux chaises en bois, et un tableau, une peinture à l'huile, qui trône sur l'un des murs. Les yeux de l'adolescente se posent sur ce dernier. Une femme aux cheveux bleus ondulés, y est représenté. Elle est retournée, face à la mer. Elle ne porte qu'une longue chemise blanche trop grande pour elle et un chapeau de paille qu'elle retient d'une main. Ce beau tableau est signé, daté, et localisé ; on lit dans le coin inférieur droit : « Readers Johnner, 1958. Bari – Italie. ».

- Aller ! La voix de Léon résonne aux oreilles de la blonde, la tirant de ses pensées. Installez-vous.

Elle détache ses yeux du tableau et hoche la tête timidement avant de prendre place sur la deuxième chaise. Un léger sourire s'ébauche sur les lèvres de Léon.

- Avant tout, commence-t-il ensuite, ses yeux clairs rencontrant ceux de l'adolescente, j'aimerais connaître votre nom... 

- Lucy, répond-t-elle. Lucy Heartfillia.

Il lève les yeux vers elle tout en s'emparant d'une feuille vierge et de son stylo-plume. Ses traits sont lisses, seul son regard est habité par la surprise, l'espace d'un instant. Il reste un court moment les prunelles fixées sur elle, avec une expression indéchiffrable. Il écrit ensuite son nom négligemment, rapidement, avant de le répéter en détachant chaque syllabe, comme pour chercher à incruster à jamais dans sa mémoire ce nom qui sonne étrangement familier à son oreille, qui ne lui est pas inconnu. L'adolescente l'observe en fronçant les sourcils, s'interrogant en silence sur sa réaction, sur son regard. Elle ne fait aucun commentaire, malgré sa furieuse envie de le faire. Léon poursuit d'une voix des plus sérieuses :

- Mademoiselle... Mon collègue ne vous l'a peut-être pas fait comprendre correctement, mais la proposition que vous nous faisons n'en est pas une que vous pouvez vous permettre de refuser.  Nous sommes prêts à vous offrir un emploi et un endroit où dormir, et il me semble, que c'est une chance inespérée pour vous...

- Je le sais bien, répond-t-elle. Mais je ne peux pas accepter.

Ils ne se lâchent pas du regard. Chacun est déterminé à ce que l'autre perde ce duel à mains nues.

- Pour quelles raisons, Mademoiselle ? demande le patron de café d'une voix rauque.

Elle faiblit. Elle prend quelques secondes pour réfléchir à sa réponse. Elle hésite. Elle aimerait raconter toute son aventure, toute son histoire avec la bête, mais elle n'y arrive pas. Elle n'ose pas. Sa culpabilité est trop lourde, et elle ne veut pas la même erreur qu'avec lui. Alors, même si elle le désire réellement, elle n'ose pas dire la vérité. Au lieu de cela, elle s'entend dire :

- Nous...Nous ne nous connaissons même pas.

Elle poursuit, sa voix baissant d'un ton :

- Vous n'avez aucune raison de m'aider...

- Parce que vous pensez qu'on est forcément obligé de connaître quelqu'un pour lui venir en aide ? lâche-t-il, trouvant sa raison idiote.

Cette question la désarçonne. L'adolescente faiblit encore. L'image du musicien s'impose à son esprit sans qu'elle ne sache pourquoi. Car, après tout, il lui est venu en aide, par pure gentillesse, alors qu'il ne la connaissait même pas. Elle se retient de soupirer, et se dit qu'il aurait mieux fait de la laisser crever dans la neige, qu'au moins, « il aurait été encore vivant ».

- Je pense, oui... En tout cas, c'est ce que pensent la plupart des gens... prononce-t-elle.

- Mais la plupart des gens sont cons, Mademoiselle, crache Léon, fixant sur l'adolescente un regard dur. On ne peut pas ne pas venir en aide à une personne aussi misérable que vous...

Il marque une pause et continue d'une voix plus calme et posée, d'un regard plus doux :

- Ecoutez, Mademoiselle, il est vrai que nous ne nous connaissons pas mais nous ne pouvons pas vous laisser repartir tout en sachant que vous n'avez nulle part où aller. Nous voulons simplement vous aider et rien d'autre...

Elle ne dit rien. Elle hésite. Elle ressent la sincérité dans la voix de cet homme, et elle aimerait accepter mais le « J'accepte » reste bloqué dans sa gorge, prisonniers de ses lèvres. La bête et ses diverses formes lui hante l'esprit. Pendant un court instant, elle songe. Elle imagine que une nouvelle apparition de la bête. Sous la forme d'un Minotaure, elle l'imagine détruire, en un seul coup de poing, le café et ses alentours. Elle l'imagine tuer, de sang-froid, le patron et le garçon de café. Elle imagine leurs corps inertes sur le sol et elle s'imagine, seule, face à la bête. Elle baisse la tête. Elle ne peut pas accepter, pas tant que la bête est là.

- Mademoiselle ? prononce Léon pour briser un silence qui commençait à devenir bien trop long.

Elle lève doucement la tête vers lui. Trop de pensées se bousculent dans sa tête. Elle esquisse l'ombre d'un sourire avant de donner sa réponse.

- Désolée... Je réfléchissais, prononce-t-elle en contemplant son interlocuteur d'un regard triste et doux. Je sais très bien que vous ne me voulez pas de mal, mais...

Elle marque une pause, tentant de trouver les bons mots.

- Je ne peux pas accepter votre proposition. J'ai mes raisons... Vous n'avez pas besoin de vous inquiéter pour moi, vous savez, je suis débrouillarde, même dans les situations les plus compliquées.

Léon se retient de protester et affiche un visage crispé, un regard plein de pitié. Il ne peut s'empêcher de se demander ce qui se passe dans la tête de cette fille. Quel genre d'épreuves a-t-elle traversé avant de venir ici ? Quelle est la raison qui l'empêche d'accepter sa proposition ? Et surtout, que cache-t-elle ? Ce qui lui fait un peu peur, dans tout ça, c'est qu'il n'en a aucune idée. Il n'a rien, aucun indice, pour trouver la vérité.

- Si vous tenez tant à ne pas travailler ici, nous n'insisterons pas, Mademoiselle, soupire-t-il. Mais, dans ce cas, partez une fois que la tempête se sera calmée. 

Une sorte de compromis avec cette ado bien trop têtue. C'est précisément ce qu'il tente de trouver. C'est plus fort que lui : il ne peut pas se résoudre à laisser repartir cette fille sous pareille tempête. La culpabilité risquerait de la submerger. Il plante son regard dans celui de l'adolescente.

- S'il-vous-plaît. C'est la seule chose que je vous demande. 

- C'est d'accord, dit-elle après un instant de réflexion, ne pouvant pas se résoudre à refuser pareille demande.

- Formidable ! Au moins, mon collègue n'aura préparé un chocolat chaud pour rien...

Il esquisse un petit sourire.

- Il me semble que nous nous sommes tout dit, alors, vous pouvez aller voir si votre boisson est prête.

Elle hoche la tête et se lève de sa chaise.

- Merci beaucoup, prononce-t-elle sans le vouloir. Merci pour... Votre compréhension.

Il maugrée, se demandant ce qui lui prend, tandis qu'elle file vers le comptoir. Léon, lui, reste là, et prend le temps de réfléchir à la situation. Il murmure doucement le nom de cette fille d'un air perdu et soupire tout en se posant mille et une interrogations à propos d'elle.

L'étoile brûlante.Where stories live. Discover now