CHAPITRE VINGT-NEUF

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Mettez la musique qui correspond bien plus au climat triste du chapitre. Merci.


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Le jour où Lucy Heartfillia est arrivée au monde, le 11 Novembre 1945, est un moment qui est resté à jamais dans la tête de sa mère, Laïla. Ce n'est pas tant l'accouchement en lui-même qui l'a marqué – il faut dire que la petite est venue rapidement au monde, à tel point que Laïla avait l'impression que tout se passait en même temps – mais bien les évènements qui ont suivi. La petite, née avec deux jours de retard, poussait un hurlement perçant, à tel point que quelques femmes dans le centre pour mères célibataires où elle est venue au monde étaient obligées de se boucher les oreilles. Et au milieu de ces hurlements de bébé, Laïla, tout en prenant sa fille dans ses bras, a révélé le prénom de son enfant à une femme qui avait encore le courage de ne pas cacher ses oreilles avec ses mains :

- Elle s'appellera Lucy. Lucy, a-t-elle dit avant d'ajouter un peu tristement : son père voulait absolument donner ce prénom à une fille.

C'est ainsi que cette fille est devenue Lucy Anna Heartfillia, Anna en référence à l'arrière-grand-mère paternelle de Laïla. Mais recevoir un si beau prénom ne lui a pas empêché de continuer de taper des pieds et de hurler, au grand dam de sa mère et de toutes les autres femmes qui ont, depuis ce jour, gardé cela en tête.

Pour sa mère, Lucy était magnifique et ressemblait beaucoup à son père – du moins, au niveau du caractère -. Les deux ont vécu ensemble dans une petite maison du côté de Bordesley Green. Le coin était calme et tranquille, – de ce fait, les occupations n'étaient pas très nombreuses, d'après Laïla – et pourtant, la petite trouvait toujours quelque chose à faire. Elle était curieuse : dès que sa mère la laissait seule, elle partait à l'aventure. Les seuls moments où elle restait tranquille, c'était lorsqu'elle dessinait ou dans son sommeil.

Les dessins représentaient souvent les personnes qui apparaissaient dans ses rêves – comme une sirène ou une bonne – ou sa mère et un homme simple aux cheveux blonds avec une arme dans les mains - qui est censé représenter son père mort durant la guerre -. Lorsqu'elle le dessinait, la petite demandait souvent à sa mère à quoi il ressemblait, de voir au moins une photo et cette dernière refusait de lui en montrer. « Ca ne te servira à rien, mon cœur, tu le représentes déjà très bien dans tes dessins », disait-elle.

Elle n'avait pas vu la moindre photo depuis au moins quatre ans, quand en Mars 1952, sa fille, âgée de six ans, et qui était étrangement calme depuis le début de la journée, est venue voir sa mère avec une image en noir et blanc dans une main, et un carnet à la fourrure orange dans l'autre.

- Maman, maman, regarde !

Elle se mit sur la pointe des pieds alors que sa mère se baissa et lui colla la photo d'un homme avec une belle moustache en habits militaires sous les yeux.

- C'est Papa, hein ? Hein, que c'est lui? Demanda-t-elle excitée.

Laïla contempla un court instant la photo en silence tout en se remémorant les bons moments passés avec son mari et répondit ensuite avec un sourire triste :

- Oui, c'est lui, mon cœur. Où est-ce que tu as trouvé ça ?

- Là-dedans, fit-elle en tournant rapidement la tête vers le carnet qu'elle tenait dans l'autre main. Elle s'empressa d'ajouter ensuite, fière et taquine à la fois : Tu sais, Maman, Papa, il est bien comme je l'imaginais...

Pendant que la petite parlait de son père et de bien d'autres choses encore, sa mère s'est dit : « Notre fille est extraordinaire, Jude. Elle est pleine de vie, intelligente, et toujours heureuse. Je suis certaine que tu l'aurais adoré ». Elle était vraiment amusante, ce jour-là, comme si découvrir le visage de son père lui avait donné une énergie nouvelle. Au bout de trente minutes environ, elle s'est plainte d'un mal de tête inopiné.

- C'est ce qui arrive quand on parle trop sans faire de pause, dit sa mère à moitié amusée. Va te reposer un peu dans ta chambre... Tu en profiteras pour ranger le carnet là où tu l'as pris.

Elle hocha la tête et, sans un mot, elle tendit ses bras vers sa mère pour avoir un câlin. Laïla serra sa fille contre elle quelques instants et l'observa glisser la photo de son père à l'intérieur du carnet. Elle a ensuite sourit à sa mère et est partie vers sa chambre.

Ce jour-là, c'est la dernière fois que Laïla Heartfillia a vu sa fille véritablement heureuse.





* * *

Ce jour-là, Laïla a vaqué à ses occupations pendant que sa fille se reposait dans sa chambre. Puis, elle s'est assise pour penser : penser à son mari, à sa fille, à comment les choses auraient pu être à trois... Lucy s'est reposée une bonne partie de l'après-midi, elle s'est même endormie. Pour une fois, la maison baignait dans un grand calme, alors Laïla en profita pleinement. C'est alors que la petite poussa un cri en plein milieu de son sommeil. Sa mère se leva alors d'un bond et se précipita dans la chambre de sa fille. Et ce qu'elle découvrit la laissa sans voix. 

Un Minotaure, debout, en face de sa fille endormie, un carnet noir à la main. La créature brillait intensément, comme une source de lumière. Paralysée, elle la contempla avec une fixité effrayante et soudain, elle se rappela tout d'un coup d'un souvenir d'enfance. Elle était encore petite – peut-être pas plus de dix ans – et elle était chez son arrière-grand-mère, Anna. La maison était grande et avait deux étages. Et alors qu'elle cherchait son arrière-grand-mère adorée au milieu de cette grande barraque, elle tomba sur lui. Ce même monstre. Alors qu'un grand silence se fit en elle, son arrière-grand-mère apparut dans son dos et ferma immédiatement la porte du débarras dans lequel le monstre se trouvait. Et enfin, elle fit jurer à Laïla de ne jamais parler de ce qu'elle venait de voir. Jamais elle n'aurait cru retrouver cette créature un jour.

- Que faites-vous là, prononça la mère, d'une voix étranglée.

Lentement, très lentement, Taurus se tourna vers elle et la fixa. Son regard était vide de la moindre expression, froid comme le marbre. Seule sa forte respiration résonnait dans la petite chambre tandis que Leïla sentait chacun des battements de son cœur résonner douloureusement dans sa poitrine. Elle osait à peine respirer, tant elle avait peur de ce monstre qui se trouvait en face d'elle. Elle resta simplement immobile,  paralysée par une peur atroce, parcourue de tremblements incontrôlables. Elle eut un mouvement de recul instinctif lorsque le monstre grogna avant de disparaître. Un livre et une clé dorée tombèrent alors au sol en même temps que Laïla qui sentit ses jambes vaciller.

- Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, gémit-elle tout en se remémorant cette scène improbable.

Un rapide frisson glacé parcourut Laïla lorsque sa fille se réveilla, en sursaut, son doux visage ruisselant de fines larmes. Elle se releva lentement.

- Maman, maman ! dit la petite fille, brutalement arrachée au repos.

Laïla s'approcha de sa fille qui tendait ses mains pour avoir un câlin. Hésitante un instant, elle finit par l'enlacer, le cœur serré, la peur et l'incompréhension l'emportant sur le sens commun et l'amour maternel.

L'étoile brûlante.Where stories live. Discover now