CHAPITRE TRENTE-TROIS

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Il y avait, à environ trente minutes à pied de chez elles, un vieux bâtiment en brique, coincé entre deux immeubles plus élevés. D'après les rumeurs, on trouvait là-bas une école, à une certaine époque ; ensuite est apparu l'orphelinat que tous, dans le coin, connaissaient plus ou moins. Il était un peu caché, discret, un peu éloigné de tout : seule une feuille clouée contre la porte du lieu permettait « d'éclairer » les inconnus. Elle était ridicule, volante, flétrie par les averses et le soleil, à tel point que l'inscription sur cette dernière en était devenue difficilement déchiffrable ; seuls quelques-uns parvenaient encore à lire « Orphelinat Tom Brendt » au milieu de ce vulgaire papier.

Seulement cinq enfants et deux adultes vivaient en ce lieu, au début de l'année mille neuf cent cinquante-trois. Cette année-là, on trouvait trois petites filles – l'une d'environ quatre ans et demi, l'autre de dix-huit mois, la dernière de six ans – et deux garçons de quatre et cinq ans. Les deux adultes étaient les propriétaires : un homme et sa femme.  Tous semblaient heureux à Tom Brendt, ce soir-là ; ces enfants bruns, châtains, blonds, avaient des visages naïfs et ravis à la fois ; ils conféraient à eux seuls une atmosphère agréable à ce lieu d'ordinaire si sinistre... Leurs éclats de voix étaient tellement forts que la propriétaire de Tom Brendt ne pouvait rien entendre d'autre.

Cependant, alors qu'elle était vers l'entrée, près des escaliers qui menaient aux chambres, quelqu'un s'était approché d'elle. Tout d'un coup, elle entendit une voix qui disait près de son oreille :

- Bonsoir, Madame Von Raven.

Surprise, la concernée fit volte-face pour découvrir une mère aussi blanche qu'un linceul et bien fatiguée, aux mains abimées par son ancien travail manuel dans une usine du coin. Elle avait les cheveux blonds, fins, courts, et portait un pantalon et un large pull noir dans lequel elle semblait flotter et de grosses chaussures. Sa main droite tenait celle de son enfant de sept ans, tandis que sa gauche portait un gros sac fourre-tout bien lourd. C'était Laïla, bien changée.

Elle faisait maintenant pauvre, légèrement plus vieille à cause du travail et de la fatigue. Son ancienne beauté était cachée ; on ne pouvait la retrouver qu'en l'examinant attentivement. Elle était devenue plus maigre, tant elle s'était privée, ces derniers temps, pour nourrir sa fille correctement et faire des économies.

Dix mois s'étaient écoulés depuis la dernière apparition de la bête, de Taurus.  Pendant cette période, Laïla a travaillé dans une usine du coin, son but étant d'économiser assez d'argent pour partir à Earthland sereinement, et pour pouvoir déposer sa fille à Tom Brendt. Son salaire n'était pas bien élevé, ainsi, son travail dans cette usine a duré un moment... Dans le même temps, elle continuait de mentir à sa fille : elle lui avait affirmé qu'un médecin en Allemagne pourrait l'aider à guérir de sa maladie, et qu'ainsi, elle devait partir seule pour le rencontrer. C'est ce même mensonge qu'elle avait raconté à Madame et Monsieur Von Raven pour qu'ils acceptent de prendre sa fille dans leur établissement, en échange, évidemment, d'une petite contrepartie financière.

Il fallait du courage pour vivre tout cela ; elle en eut et bossa, même dans la détresse, car elle était résolue à revivre une vie tranquille avec sa fille. Comme avant. Et lorsqu'elle eut suffisamment d'argent, c'est-à-dire en Février mille neuf cent cinquante-trois, elle quitta précipitamment sa maison avec sa fille.

Laïla n'avait quasiment rien emporté, si ce n'est quelques vêtements de sa fille, qu'elle avait bourré dans un sac, et son argent. Elle avait prévu qu'une partie irait aux Von Raven pour les « remercier » de s'occuper de sa fille, et qu'elle garderait l'autre pour elle. Dans les poches de son pantalon, on trouvait aussi la clé de Taurus et la vieille photographie de son défunt mari.

L'étoile brûlante.Where stories live. Discover now