Chapitre 2

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Cinquante arbres marqués en avant, quinze à gauche, à nouveau cinquante arbres en avant. Le chemin parcouru était clair, si elle sentait quelque chose d'anormal, elle courrait et rejoindrait l'atoll. L'exploration avait progressé. L'environnement se faisait différent. L'aménagement du peuple qui vivait ici paraissait discret. Les maisons que Victoire apercevait au loin étaient comme camouflées. Elles se dessinaient en accord avec la forêt. La manière dont se moulait le squelette des constructions humaines à la nature lui rappelait un jeu de tetris. Et le bois des maisons comme un caméléon s'harmonisait à ce qui l'entourait. De quoi inspirer tous les architectes contemporains à la recherche d'authenticité, pensa Victoire. Elle sentait l'activité humaine non loin. Elle avait avancé doucement sur les pas du chasseur, s'identifiant quelques instants au personnage d'Indiana Jones. C'est le son des hommes qui l'avait poussée à ne pas aller plus loin dans son exploration. Elle avait d'abord été effrayée car son imagination débordante lui permettait de se figurer aisément mille et un scénarios pour une situation, puis s'était rassurée. En fait, c'était plutôt réconfortant de sentir des membres de son espèce. Et puis l'avantage était que contrairement à tous ces films, où le héros se fait capturer par les habitants de l'île avant même d'y avoir posé les pieds, c'était elle qui les avait trouvés et non l'inverse. C'était excitant de pouvoir observer sans être vue. Elle avait appris durant son année sabbatique en Australie qu'observer avant d'agir était le meilleur des conseils quand on est confronté à une situation inconnue. Alors que Victoire ne parlait pas très bien l'anglais en arrivant là-bas, elle avait évité beaucoup d'incompréhensions en restant en retrait dans les premiers temps. Elle possédait cette capacité de ne pas interpréter trop rapidement. En France par exemple, alors que parler à table est synonyme de convivialité, c'est un grand manque de politesse en Chine. Son ami chinois, Zekai, venu lui aussi une année en Australie lui avait appris ça. Comme quoi les points de vue ! Ca lui faisait chaud au cœur de penser à cette année qu'elle avait passée là-bas. Un an de sa vie quand on a dix-neuf ans, c'est beaucoup. Mais ses parents lui manquaient. Lorsqu'elle avait quitté l'Australie, elle avait été impatiente et très heureuse de les retrouver rapidement. Mais la vie en avait décidé autrement. Il fallait qu'elle agisse maintenant, qu'elle aille voir ces gens et qu'elle leur raconte ce qu'il s'était passé. L'un d'eux devait bien parler anglais. On lui prêterait un bateau et elle rentrerait sur le continent. Sa mère serait malade en apprenant que le vol dans lequel elle se trouvait s'était crashé. Son enfant, c'était toute sa vie. Et elle en voudrait à jamais à son père qui l'avait encouragée à partir. Pas question donc de faire durer ces moments de douleur au sein de sa famille. Victoire prit son courage à deux mains et sortit de sa cachette. Elle savait d'après ses observations qu'il y avait des enfants puisqu'elle avait entendu leurs cris et rires. C'était dans un premier temps plutôt rassurant. En général, enfance est synonyme d'innocence. Elle l'espérait. Pas à pas, les maisons se firent plus grandes, les traces de vie plus vraies. Les jambes qui la portaient avançaient de façon incertaine. Les muscles de son dos se tendaient. Ses doigts se crispèrent autour du bâton qu'elle avait gardé. Plusieurs personnes la dévisagèrent. A peine fut-elle visible que les hommes et les femmes stoppèrent toute activité. Les enfants avaient arrêté de rire, courir, respirer. Tout le monde avait cessé de vivre. Victoire s'immobilisa au centre de l'attention, l'œil hagard, elle regarda un à un ceux qui l'entouraient. Sur son visage était dessinée l'expression de quelqu'un qui est égaré et qui ne sait pas à qui s'adresser. Elle était la brebis, joueraient-ils au loup ? Elle entendait chuchoter les personnes qui l'encerclaient maintenant dans une langue qu'elle ne comprenait pas.

-Do you speak english ? demanda Victoire en s'adressant à tout le monde mais à personne à la fois.

Personne ne répondit. Ils continuèrent à parler entre eux, ignorant ses paroles. Victoire sentait bien qu'ils gardaient leur distance, qu'ils étaient inquiets, que sa présence représentait un fait inhabituel. En trente secondes, elle avait crée la cacophonie. Quel effet ! Les yeux roulèrent vers une femme dont la voix s'éleva plus fort. A priori, elle venait de dire quelque chose de pertinent puisque tout le monde se tut.

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now