Chapitre 5

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Quelques semaines plus tard, Victoire babillait quelques mots et elle comprenait certaines phrases. Du moins, elle devinait. Ainsi, elle put mettre en lumière des phénomènes qu'elle n'avait pas vraiment compris. Les mœurs des tahuts lui apparaissaient plus intelligibles. En classe, ils parlaient énormément de ce qui semblait être de la philosophie. Le professeur, qui se révéla être un personnage extrêmement philanthrope, abordait bien des sujets auxquels la plupart des occidentaux, des gens dits «éduqués», n'avaient sans doute jamais pensé, les considérant comme acquis. Les enfants réfléchissaient donc avec leur professeur sur le vivre ensemble, la justice, la morale,... Et cela se ressentait indubitablement dans leur façon de vivre quotidienne. Tous, d'abord, paraissaient très respectueux les uns envers les autres ; et ils l'étaient tout autant avec l'environnement. Aucun tahut ne mangeait sans remercier le ciel pour sa pluie, la terre pour ses rendements, les arbres pour leurs fruits, la faune pour ses propriétés nutritionnelles,... Tout un tas de manifestations de reconnaissance qu'elle ne comprenait pas toujours était énoncé. Victoire avait fait l'expérience de ce respect lors d'une chasse auquel elle avait assisté. Une bête avait été tuée de façon très méthodique. On l'avait immobilisée à l'aide d'une flèche puis on lui avait tranché la gorge avec une lame pour qu'elle souffre le moins possible. Ensuite on avait remercié l'esprit de la bête. Rien ne serait gâché lui avait dit Ma Roana : son poil servirait, tout comme sa chair et ses os. Elle lui avait également dit que la saison de la chasse venait tout juste de reprendre et qu'à certains moments on n'est pas autorisé à tuer les animaux, ce qu'elle avait également cru entrevoir en classe dans des cours centrés sur la biologie. Outre la philosophie, les sciences de la vie, les enfants apprenaient à écrire et dessiner. Quand ils étaient en âge de travailler, c'est-à-dire quand, physiquement, ils avaient la force de le faire, et que le professeur estimait que leur formation était suffisante, ils ne revenaient plus à l'école. Aujourd'hui Victoire n'y alla pas non plus. Ils avaient droit à approximativement un jour de repos toutes les semaines et elle choisit de l'utiliser à interroger le Chef. Avoir une vraie conversation lui manquait et il avait insisté pour qu'elle revienne discuter avec lui quand elle le désirerait. Victoire quitta donc sa demeure pour se rendre à celle qui se trouvait à l'autre extrémité du village. Maintenant qu'elle n'avait plus besoin de guide pour se repérer, elle prenait un malin plaisir à explorer l'île. Cette dernière était plus grande que ce qu'elle avait pensé en la considérant la première fois. Et trois semaines sur celle-ci ne lui avaient pas été suffisantes pour découvrir son intégralité. Enfin, trois semaines dont une où le fils de Ma Roana, Liam, l'avait suivie dans chacun de ses déplacements qu'elle avait alors dû limiter. Elle soupçonnait Ma Roana de lui avoir dicté cette conduite car il ne semblait pas l'apprécier. A présent, elle ne le croisait que rarement dans le domicile familial. Il était le seul de ses enfants à ne pas être marié ou plutôt ; comme le dirait Ma Roana, « lié par l'amour ». Il n'était pourtant pas repoussant avec ses cheveux mi-longs ondulés, sa peau basanée, un peu plus que celle des autres, et sa carrure de colosse. Mais tout comme Victoire, les autres filles ne devaient pas apprécier son attitude austère. Victoire finit par arriver à hauteur de la partie la plus animée du village. Elle vit des enfants qu'elle connaissait jouer, et d'autres aider leurs parents. Elle fit un signe pour les saluer tout en constatant que Maurice la suivait. Maurice était un petit marsupial à la tête de souris capable de grimper dans les arbres. Il n'était pas plus gros qu'un chat et vivait libre sur l'île. Il s'était pris d'affection pour elle et la suivait souvent dans ses déplacements. Sûrement du fait qu'elle lui donnait parfois la nourriture à laquelle elle avait du mal à s'habituer. Elle savait à quel point les aliments étaient sacrés pour les tahuts et se sentait honteuse de faire sa difficile. Ainsi c'était secrètement qu'elle nourrissait la sorte de petit lémurien quand les plats n'étaient pas à son goût. Maurice, lui, ne crachait pas dessus ! Quand elle arriva à la maison du Chef, une femme toute en rondeur vint l'accueillir. Le Chef arriva dans la foulée. Il désigna la femme comme étant la sienne et Victoire la salua respectueusement. Lorsqu'ils entrèrent dans la pièce du Chef, laissant sa femme vaquer à ses occupations de tisseuse, il lui servit la décoction de la dernière fois.

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now