Chapitre 44

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Nous étions le 28 janvier 2018, il était 00h35 à Mascate et selon le tableau de bord 2h45 à Paris. La dernière fois qu'elle était montée dans un avion, c'était un 9 septembre. Dire qu'elle avait peur aurait été mentir. Elle était consciente que les accidents d'avion étaient rares. Un deuxième en cette occasion aurait défié toute probabilité. Et pourtant elle ressentait une certaine appréhension. Elle avait été placée en première classe car il y restait des places. Ses parents avaient été mis au courant de sa réapparition et elle les avait eu quelques minutes au téléphone. Des blessures que plusieurs mois de deuil avaient été nécessaires à atténuer s'étaient réouvertes. Elle l'avait senti dans leurs voix. Le monde s'était écroulé avec sa disparition, ainsi que tout leur équilibre, et entendre sa voix avait fait immerger tout ce qu'ils avaient alors refoulé pour garder une part de dignité et ne pas sombrer. Ils l'attendraient à Paris. Alors qu'elle volait pour Paris, ils conduiraient de Meyzieu jusqu'à l'aéroport Charles de Gaulle. A 14h10, après une escale à Dubaï, elle serait enfin en France et ses parents seraient là. Elle avait du mal à s'en convaincre. Il y a peu, tout ça lui paraissait tellement loin. Dans sa tête, Victoire se fit et refit les images de leurs retrouvailles comme si cela aurait rendu le moment indubitable. Puis une pensée pour Liam lui vint. Que faisait-il ? Quels étaient ses projets ? Pensait-il aussi à elle en cet instant ? Elle se détacha de cette pensée bien décidée à réfréner ses souvenirs avec Liam, lesquels remontaient involontairement à sa mémoire. Elle ne sut pas exactement à quel moment elle s'endormit, mais quand elle se réveilla, elle était arrivée à Dubaï. Ce fut une longue journée où elle rejoignit ensuite son prochain avion, attendit, monta, attendit encore, décolla, et arriva enfin à l'aéroport Charles de Gaulle. En même temps, cela lui permettait d'appréhender ce changement d'univers, de repenser au tahuts, aux moments qu'elle avait passés sur Tahuta, à Paul, et à la promesse qu'elle lui avait faite. Ce fut un moment de calme qui lui permit de se retrouver en elle-même et de faire le point, chose qu'elle avait pu difficilement faire aux côtés de Liam puisque ses pensées revenaient sans cesse à lui. Aucun bagage ne l'attendait en arrivant, mais une bande de journalistes qui voulaient se saisir de l'incroyable histoire alors que même ses parents n'avaient pas dû encore accéder à cet endroit de l'aéroport. Aussitôt arrivée dans le hall, elle fut assaillie de toute part. Une majorité d'hommes, trois, et une femme. Plusieurs enseignes avides de faits divers.

-Bonjour Victoire. Pouvez-vous répondre à quelques unes de nos questions, tenta un des hommes.

Victoire ne s'était pas préparée à ça. Elle se figea. Avec le voyage, elle se sentait sale, fatiguée, harassée par l'attente de revoir ses parents.

-Ce ne sera pas long, votre histoire nous intéresse, reprit une autre personne, la femme cette fois.

Sa langue resta bloquée dans sa cavité buccale. Elle était désorientée et ne savait pas où donner de la tête face à ce profond empressement de savoir, d'être le premier à divulguer la nouvelle.

-Vous avez été victime d'un accident d'avion, celui qui a emmené deux cent quarante-quatre personnes avec lui le 9 septembre dernier, c'est bien ça ?

Comment avaient-ils pu être aussi vite au courant de son arrivée ? Ils étaient présents et pressants avant même que ses parents eût pu la voir. Elle avait envie de les repousser mais n'en n'avait pas l'énergie. Elle balbutia quelques syllabes qui furent à peine intelligibles. Les huit grands yeux la scrutaient avec attention, concentrés sur le moindre mot qu'elle prononcerait.

-Je suis désolée, dit-elle finalement.

Soudain, elle les vit. Ses parents. Elle poussa les journalistes pour sortir de leur encerclement étouffant. Sa mère lâcha la main de son père en l'apercevant. Elle courait presque. Victoire aussi. Elle portait un long manteau, un trench, et un foulard entourait son cou. Son père portait une chemise et un jean surmonté d'une veste en cuir. Son regard remonta jusqu'à leurs visages : graves, pâles, fatigués. Bientôt plus qu'un pas ne les sépara et des bras vinrent l'étreindre, fort. La barbe naissante de quelques jours de son père vint reposer sur ses cheveux, la poitrine de sa mère s'enfoncer dans son visage. Ils pleurèrent.

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now