Chapitre 25

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Après cet incident, tout était à peu près revenu à la normale. Paul était retourné travailler avec les bâtisseurs après la semaine d'absence qu'avait engendrée sa chute. Son corps était encore douloureux, devinait Victoire, mais il ne s'en plaignait pas. Tous ses camarades s'étaient réjouis de le voir revenir, lui avaient-ils dit. Victoire, quant à elle, continuait à travailler aux côtés de Talia. Celle-ci l'avait remerciée plus qu'il ne fallait pour être allée chercher les plants de l'autre côté de l'île, et elle avait pu concocter le remède qui, d'après ses dires, se montrait efficace. Talia lui avait également appris que Fetnat était bien enceinte, ce qui n'était pas une bonne nouvelle pour Victoire qui, moins elle la voyait, mieux elle se portait. Une grande fête avait été organisée en l'honneur de grand-père Iguane, mais ni Liam, ni Victoire, ni Paul n'avaient été d'humeur à faire la fête. Ils n'avaient pas reparlé du bateau. Pour l'instant, la blessure était trop profonde pour évoquer le sujet. Ils n'avaient pas non plus l'énergie de se projeter dans un nouveau plan d'action pour quitter l'île. Ca aussi, c'était encore trop tôt. Le Chef n'avait prononcé aucune sanction suite à l'événement. Il préféra taire l'histoire plutôt que de la répandre. Victoire aurait bien évoqué le sujet avec lui, et bien d'autres encore, mais elle savait que cela se révèlerait incontestablement difficile. Les seules choses qui s'étaient dites sur le chemin du retour, lors de leur heurt avec les bannis, concernaient la stupidité de s'adresser aux bannis qui avait été l'objet d'un aphorisme de la part du Chef, et leurs raisons de les rencontrer. Dans leur narration des faits, Victoire et Paul avaient volontairement omis de préciser la participation de Liam à leur projet de partir. Mais le Chef n'était pas dupe. Liam n'avait rien du bon samaritain qui applique toutes les règles tel un mouton de Panurge. Il était intelligent, et faisait bien ce qu'il voulait, et ce qui lui semblait juste. Victoire regretta qu'ils n'aient plus l'occasion de se voir aussi régulièrement que lorsqu'ils travaillaient sur le bateau. Elle le croisait le soir, parfois le matin quand il n'était pas déjà parti explorer la faune. Victoire se demandait parfois s'il n'était pas un demi-dieu comme on les décrit dans les textes antiques grecs. Elle le voyait bien en Diane de Tahuta.

-Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

-Je ne sais pas, je vais retourner travailler, pas toi ? demanda Victoire.

-Ce n'est pas ce que je veux dire. Qu'est-ce qu'on va faire, on ne va pas rester ici toute notre vie. Tu as une famille qui t'attend.

-Non, bien sûr...

-Alors quoi ?

Victoire prit quelques secondes pour réfléchir.

-Je vais essayer de parler au Chef.

-Et s'il ne veut pas te parler, ou qu'encore une fois il ne donne pas les réponses que l'on attend ?

-Tu as raison. Ecoute, ce bateau qui s'est arrêté sur l'île pour repartir presque aussitôt après avoir rencontré le Chef, je ne le sentais pas mais je crois que nous n'avons plus le choix. Je crois que c'est notre chance de rentrer.

Paul réfléchit. Victoire détailla sa barbe aux reflets blonds qui était plus fourni que lorsqu'il était arrivé. Ca lui donnait un air mature. Ses sourcils étaient eux aussi bien fournis, et une grosse touffe blonde couvrait son crâne. Il ressemblait à un lion.

-Je crois que tu as raison. Alors, on commence par quoi ?

-Je vais quand même essayer d'obtenir des informations du Chef, et sinon, on surveille la côte.

-Je crois qu'on va encore devoir réclamer l'aide de quelqu'un...

-A qui tu penses ? demanda-t-elle en penchant la tête de quarante-cinq degrés vers la gauche.

-Qui est le meilleur observateur de ce qu'il se passe sur l'île si on oublie les faits humains ? demanda Paul avec un sourire en coin.

-Liam.

-Liam. C'est peut-être déjà à lui qu'il faudrait poser nos questions, tu ne crois pas ?

Victoire se sentit bête de ne pas y avoir pensé plus tôt. Toutes ces heures en sa compagnie, et elle n'avait jamais pensé à lui parler de ça.

-Tu as raison. On se dit ce soir, au coucher du soleil devant chez moi ?

-Ca marche. Et dis merci à Talia pour le repas, dit Paul en mastiquant sa dernière bouchée alors que Victoire quittait déjà la maison de la médecin pour la rejoindre.

Les deux femmes devaient se retrouver devant chez leur prochain patient : le petit garçon à l'érythème, pour voir comment les plaques évoluaient avec les soins. Talia était en retard. Elle mangeait en compagnie de Tessa ce midi. Ca ne dérangea pas Victoire, elle préférait que ce soit dans ce sens là. Mais si elle avait su, elle serait restée un peu plus longtemps avec Paul. Talia ne tarda cependant pas à arriver. Enfin, pour une tahut. Les villageois n'étaient pas de nature à se presser. Il ne comptait pas les heures, ni les semaines et les années d'ailleurs, mais vivaient au rythme du soleil et des saisons. Pendant le temps où elle l'attendait, Victoire s'était amusée avec Maurice et avait caressé le facétieux marsupial.

-Alors, comment va Tessa ? lança Victoire à sa tutrice.

-Elle va très bien, je lui ai appris la grossesse de sa sœur. Elle n'était pas au courant, et j'ai fait une gaffe, j'étais persuadée qu'elle lui aurait dit.

-Oui, moi aussi, je trouve ça même étonnant qu'elle ne l'ait pas été.

-Je ne suis pas si étonnée, les sœurs ne sont pas très proches. Fetnat a toujours été proche de Mohea. Mais Tessa l'était davantage de Liam. Enfin ça, c'était avant qu'il ne se referme sur lui-même.

Victoire avait toujours senti que Tessa était d'une nature différente des deux sœurs. C'était peut-être un peu espiègle de sa part, mais elle fut contente d'apprendre que Tessa ne s'entendait pas si bien avec ses sœurs.

-Est-ce que tu sais pourquoi il est devenu comme ça ? Je veux parler de Liam.

-Je ne sais pas trop, je sais que son changement remonte à la mort de son frère, mais ça l'était déjà un peu à la disparition de son père. Je n'en sais pas plus. Bon allez, une visite nous attend.

Le petit Mohi allait beaucoup mieux. Bien sûr il restait encore des plaques à plusieurs endroits de son corps, et sur son visage, mais celles-ci s'étaient atténuées. Sa maman respectait scrupuleusement les indications des médecins qui lui fournissaient la crème à base des plantes que Victoire était partie ramasser. Il avait l'air plus épanoui avec ce changement physique. Victoire se l'imagina sujet aux moqueries de ses camarades. Les tahuts avaient beau recevoir la meilleure éducation philosophique qui soit, quand on est enfant, on ne réfléchit pas toujours à ce qu'on fait, ce qu'on dit, et aux conséquences. Quand elles partirent, elle surprit même Mohi à lui sourire. La journée passa. Longue car passionnante. Plus elles étaient remplies et plus elles semblaient longues quand Victoire y repensait. Et à chaque fois, Victoire rentrait épuisée. Comme ce jour-là. Talia ne l'avait pas ménagée. Elle l'avait trainée de patient en patient jusqu'au coucher du soleil. Paul devait déjà être devant chez elle, à l'attendre. Elle avait hâte de lui raconter comment elle avait replacé une épaule luxée. Il serait impressionné, c'était certain. Soudain, une ombre sortit. Elle sortit de derrière un arbre, comme si elle l'attendait. Comme si elle avait prévu que Victoire passerait par là, à cette heure précise. Dans le crépuscule, Victoire ne perçut pas tout de suite son identité. Elle fit un pas en arrière, méfiante. Elle le cacha bien, mais elle était morte de peur. Elle eut peur que ce soit le banni. Elle pensa instantanément à lui. Après tout, ça n'aurait pas été la première fois qu'il la suivrait le soir.

-Il faut qu'on parle, dit l'ombre, à présent reconnaissable. Il faut qu'on parle sérieusement.

-Liam, mais Paul m'attend, on voulait te parler justement.

-Il faut que nous parlions seul à seul, Paul comprendra. Je ne peux parler qu'à toi et c'est maintenant ou jamais. Parce que je crois que je commence à te faire confiance. 

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now