Chapitre 3

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On lui avait servi un bol de soupe. Des légumes orange à peine plus gros que des abricots, bouillis dans une grande marmite, qu'on avait ensuite versés dans un récipient en terre cuite. Puis on avait pansé sa plaie à la jambe. « On » c'était une dame qui tendait vers la vieillesse mais qui n'était pas aussi âgée que sa grand-mère. Peut-être avait-elle l'âge de sa mère. C'était difficile à dire car sa peau faisait peu de plis mais ses cheveux attachés en une natte étaient pour la plupart gris. Elle l'avait beaucoup regardée faute de pouvoir comprendre ses paroles. Pourtant elle entendait. Toutes les syllabes étaient très hachées. Il n'y avait pas de sons très gutturaux comme on peu en trouver dans l'arabe, ni de sons longs et arrondis comme on en entend en anglais. La phonétique ne semblait pas aussi différente du français que peut l'être le chinois. Et la prosodie était plus douce et rassurante que l'allemand. Mais impossible de mettre des images derrière tous ces sons qu'elle distinguait. Victoire se sentait frustrée. Un bébé qui écoute mais qui n'est pas capable de parler, voilà ce qu'elle était. D'un autre côté, elle se concentrait sur certaines choses auxquelles elle n'avait jamais prêté attention auparavant. La musicalité de la langue par exemple. C'est comme ça qu'elle avait compris que la femme essayait de la rassurer. C'est avec douceur qu'elle s'était adressée à elle, articulant comme quand on parle à un enfant. L'homme s'était montré plus rude. Avant de l'emmener à une maison et de lui servir à manger, on l'avait mise face au plus vieil homme qu'elle ait jamais eu l'occasion de rencontrer. Habillé de draps légers qui tombaient comme une robe, recroquevillé sur lui-même, il n'avait pas esquissé un sourire. Il avait prononcé approximativement cinq mots. Cela devait sans doute impliquer son nom et son prénom. Il avait ensuite posé une main sur l'épaule de Victoire, puis il était reparti aussi lentement qu'à sa venue, de sa démarche de vieillard. La femme vint s'asseoir à côté d'elle. Elle se lova sur un des coussins qui entouraient la table basse. Victoire la regarda en souriant pour lui indiquer sa quiétude.

-Merci, prononça-t-elle.

La femme se leva. Quand elle revint s'asseoir aux côtés de Victoire ce fut avec une pile de feuilles. Elle continuait à parler sans cesser. Etait-elle consciente que Victoire ne comprenait pas un mot ? Victoire portait à chaque parole une profonde attention ce qui aurait pu laisser croire qu'elle déchiffrait. Mais elle sentait au fond que parler représentait une manière de la rassurer. Elle s'étonna de cette compassion, de cette marque d'humanité. Son hôtesse dévoila les feuilles et les exposa sur la table. Sur chacune d'elles, on discernait des personnages. Les dessins étaient extrêmement bien réalisés. Tellement qu'on aurait pu croire à des photos. Ce n'est qu'en regardant de plus près, à la lumière du jour, qu'on remarquait que les couleurs étaient artificielles. Parfois trop vives ou trop sombres pour être une réelle photographie. Cinq personnages revenaient continuellement. Victoire supposa qu'ils devaient être ses enfants. La femme parlait, montrait du doigt, commentait. Il y avait deux garçons et trois filles. Ils étaient beaux. Enfin, comment n'auraient-ils pu ne pas l'être dessinés du point de vue de leur mère. Partout il y avait une même signature au bas des œuvres. Une sorte de petit rond avec des traits symétriques qui l'entrecoupaient. Un homme rentra au moment où la mère commençait à ranger les dessins. Un homme avec une arbalète. Un homme qu'elle n'avait pas reconnu sur les photos mais qu'elle reconnaissait à présent. Face à Victoire se trouvait l'homme qu'elle avait vu, mais surtout qui l'avait vue. Il lui jeta un regard froid presque austère. Lorsqu'il s'adressa à la femme qu'elle avait supposée être sa mère ce fut de manière brutale. Ce ton acerbe contrastait avec celui délicat employé par la maîtresse de maison. Ils échangèrent quelques phrases impétueuses puis l'homme sortit. Victoire se demanda la raison de leur dispute. Elle observa un instant l'expression figée de la femme enfermée dans ses pensées. Quand celle-ci remarqua l'attention qu'on lui prêtait, elle se remit à sourire et à articuler des bribes de parole.

Quand la nuit arriva, on offrit un lit à Victoire. Tout dans la maison était assez primaire, mais le nécessaire s'y trouvait. Il n'y avait pas d'électricité avait remarqué Victoire, et on se servait beaucoup du feu. Pour manger, s'éclairer et se chauffer principalement. Des installations étaient aménagées pour rendre cette façon de vivre pratique et elle sentit qu'elle pourrait s'y habituer. Heureusement la maison était bien isolée, car une fois les rayons du soleil absents, elle avait noté qu'il faisait bien froid à l'extérieur. Victoire s'allongea sur sa couchette. Elle chercha une position qui ne faisait pas trop souffrir son bras et sa jambe. Demain elle continuerait à explorer l'île à la recherche de quelqu'un qui pourrait l'aider. Elle s'adresserait à tous les individus qui s'y trouvaient s'il fallait et elle parcourrait chaque kilomètre carré de terre. C'était étrange tout de même, cette île semblait être totalement coupée du monde.  

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now