Tahuta, le secret d'une île

Chapitre 39

La fête débuta le matin même. La place avait été décorée. Comme à chaque événement, mille odeurs embaumaient les lieux. Il était encore tôt, mais les percussions sonnaient déjà à un rythme endiablé et des voix graves récitaient des chants semblant venir d'un autre monde. Il fallait dire que ce n'était pas tous les jours qu'on fêtait le départ de quelqu'un de l'île. Ca n'était même jamais arrivé. Si Victoire n'avait pas connu l'objet de la fête, elle aurait pu croire à la célébration d'un mariage ou d'une naissance. Ce n'était cependant pas elle l'objet de toute l'attention, mais lui. Il dominait fièrement la place de toute sa longueur. Sa coque semblait lisse mais quand Victoire vint faire glisser sa main le long, elle l'a sentie granuleuse. Elle constata en même temps l'épaisseur des parois et la solidité de ces dernières. Dans l'embarcation, il y avait de la place pour trois ou quatre hommes comme Liam. Un grand mât était solidement fixé à l'intérieur et maintenu par l'épaisseur du bois. Victoire se demanda par quel miracle les bâtisseurs étaient parvenus à le faire tenir ainsi, il s'élevait à deux ou trois mètres au dessus d'elle. On y avait attaché une voile souple qui se voulait lâche en absence de vent. Elle s'imagina un instant dans l'embarcation en compagnie de l'homme, la voile gonflée par le vent, encerclée par des mètres cube d'eau. Victoire effaça cette vision qui lui sembla encore précoce en se disant qu'elle n'avait de toute manière pas même aperçu Liam depuis le début de la fête. Donc partir avec lui, c'était autre chose...

-Tu es toute seule ? demanda soudain une voix à côté d'elle.

Son interpellateur l'obligea à reprendre conscience et connaissance de ce qui l'entourait.

-Je suis venue avec Ma Roana, répondit Victoire en tournant la tête vers l'interlocuteur. J'aurais dû être avec Talia en ce moment même mais elle m'a interdit de travailler.

Fidèle à lui-même, le garçon au pendentif en forme de lièvre fut prolixe.

-Profite de tes derniers instants sur l'île. Que serait cette fête si celle qui en est à l'honneur était absente. Je suis venu avec Poe. Nous allions guider les danses traditionnelles avec Grand-Ma et Grand-Pa, tu veux te joindre à nous ?

-Peut-être plus tard Nell, je dois voir quelqu'un.

-C'est comme tu veux, peut-être à tout à l'heure alors, s'exclama-t-il chaleureusement en s'éloignant avec un signe de la main.

Les timbales continuaient à donner du rythme à la fête. Elles étaient comme un borborygme, des cœurs qui battaient à l'unisson puis qui se répondaient. Victoire ferma les yeux et se laissa bercer par les caisses qui résonnaient entre elles et en elle. Elle se concentra sur les sonorités des chants à défaut de comprendre leur sens. Pendant quelques instants, elle voyagea à travers ce mélange musical. Jusqu'à ce qu'une main vint la faire sursauter en se posant sur son épaule, et lui faire quitter le monde dans lequel elle s'était laissé immerger. Quand elle rouvrit les yeux, elle se trouva face à Liam. Son expression était désinvolte, presque paisible. Victoire fut prise d'un regain de vitalité.

-Alors comme ça, l'introuvable est de retour ? dit-elle sur un ton qui pouvait évoquer le sarcasme.

-C'est un reproche ?

-Non, mais tu t'es fait discret ces derniers temps. On vit ensemble et c'est à peine si je t'ai croisé.

-Tu as l'air de le prendre à cœur. Et si on allait marcher ? proposa l'homme.

Victoire acquiesça. Elle se laissa guider à travers les habitations, puis la végétation. Une fois la civilisation quittée, il lui prit la main pour ne pas la perdre entre arbres et fougères et pour s'assurer qu'elle suive le même rythme que lui. Après un regard autour de lui, il s'arrêta. Le soleil, atténué par les feuilles qui habillaient les grands arbres, éclairait en un halo l'espace entouré de végétation. Il y avait de la place pour trois personnes, peut-être quatre, au-delà, fougères, arbres et arbustes redevenaient abondants. Il sembla à Victoire que l'endroit convînt à Liam.