Chapitre 41

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Si son père lui avait laissé comme héritage la curiosité de l'inconnu, il ne lui avait cependant pas légué ses connaissances en navigation. En avait-il même quand il avait décidé de partir ? Ils subissaient l'océan davantage qu'ils le domptaient, et même si Liam acceptait son inexpérience, cela lui était frustrant. Il admirait cependant le calme de sa coéquipière. Elle contemplait l'horizon, imperturbable, comme si elle s'attendait à tout instant à voir naître au loin un petit bout de terre. Elle était impatiente de retrouver les siens sans doute. Il sentait beaucoup d'énergie émaner de ce petit brin de femme. C'était peut-être cela sa force. Pas ses potentialités, mais la détermination et la persévérance. Il ne lui avait pas dit qu'il était sans doute celui qui l'appréciait le plus à sa juste valeur après cette saison à analyser et observer chaque chose qu'elle exprimait. Cela allait même bien plus loin, à force de s'être contraint à rester inexpressif, Liam avait développé certaines compétences en matière de synergologie. Il voyait bien plus loin que le verbal. Et il s'amusait à déchiffrer avec un recul hors normes les scènes sans y prendre part. C'est peut-être ça qui lui donnait son côté inhumain : cette tendance à observer les faits humains avec son cerveau pendant que d'autres les lisent avec leur cœur. Lui, avait abandonné cette seconde façon de vivre les choses en faveur de la première. Et parce qu'il savait que Victoire, bien qu'étant une personne rationnelle, vivait davantage que lui les choses avec son cœur, il avait décidé de ne pas la complimenter sur qui elle était, de ne pas l'attacher encore davantage à lui en lui donnant le sentiment d'être comprise et de rendre la séparation encore plus difficile. Car séparation il y aurait. C'était une question de temps.

Elle regardait silencieusement l'horizon. Cela faisait plusieurs jours qu'ils étaient partis. Combien en faudrait-il pour rejoindre une population plus ouverte sur le monde quelle qu'elle fût ? Les vents étaient forts, elle ne les aurait pas imaginés si violents. Mais le bateau avançait, et il résistait. Pourtant ils avaient eu droit à toutes sortes de temps : de la pluie, de violentes giboulées qui n'avaient duré que peu de temps, des nuages, de gros cumulus qui laissaient l'atmosphère froide et sombre, et du soleil, heureusement, le reste du temps. Ils avaient pour l'instant évité les orages. Pour se nourrir, ils avaient compté sur les réserves de nourritures laissées par les tahuts et après quelques jours, ils avaient commencé à pêcher. Un petit filet se trouvait en leur possession, et la pêche bien que longue avait été un succès. Victoire avait d'abord hésité à manger cru le poisson, mais son estomac ne se contentant bientôt plus de baies et fruits, et en vue de la baisse des provisions de céréales, il le lui avait obligée. Avant chaque repas, elle et Liam récitaient la petite prière usuelle qui consistait à remercier la terre et ses bienfaits. Les traditions n'avaient pas été abandonnées et Victoire était intimement convaincue que même loin de l'île, Liam continuerait à agir en personne vertueuse qui se sent concernée par les êtres vivants. Ils semblaient cependant vivre une expérience intérieure différente maintenant l'île quittée. Il y avait eu beaucoup de silence. Pas qu'ils n'eurent pas envie de partager. Mais Victoire avait senti qu'ils avaient besoin de se retrouver seuls face à eux-mêmes. Conséquence sans doute provoquée par l'immensité de l'océan, qui amenait toute personne à se demander ce que pouvait bien représenter sa vie à côté de cette vaste étendue, mais surtout qui menait chacun à philosopher sur où il allait et pour quelles raisons. Après quelques jours, Victoire avait commencé à sortir de son mutisme. Ses raisons étaient justes. Elle avait le droit d'entreprendre tout ce qu'il fallait pour retrouver ceux à qui elle tenait, et qui tenaient aussi à elle. C'était nécessaire. Elle se devait de rassurer ses parents, de les apaiser en leur disant qu'elle était en vie. Et puis, elle avait un devoir encore plus grand : donner du repos à la mère de Paul en lui racontant ce qu'il était advenu de son fils, en lui disant à quel point il était une personne brave et combien il l'aimait. Et elle resterait éternellement fidèle aux tahuts et au secret de leur existence, ça n'empêcherait rien.

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now