Chapitre 13

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La seconde journée avec Talia fut riche en expériences, davantage encore que la première, même si cette dernière avait constitué une bonne leçon. Victoire avait encore dû trouver les plantes, mais cette fois-ci ce fut beaucoup plus expéditif et avec plus de volonté puisque qu'elle savait où les chercher et pour quelles raisons elle le faisait. Talia lui avait également laissé faire le pansement de Makao. Elle avait d'ailleurs félicité son aptitude à faire les choses avec soin et rigueur. Les patients quotidiens de Talia avaient également été présentés à Victoire, qui se les remémora en se rappelant l'ordre dans lequel elles étaient allées leur rendre visite. Il y avait eu une grand-mère de la famille de l'Ecureuil, nécessiteuse de soins du fait de ses articulations qui la faisaient souffrir, une femme de la famille du Crabe, enceinte jusqu'au cou de jumeaux, qui devait être attentivement surveillée, une enfant de la famille de la Buse qui s'était cassé le bras et dont le système qui le lui maintenait devait être régulièrement refait. Ensuite, un cas médical qui l'avait particulièrement touchée s'était présenté à elle : le grand-père de la famille de l'Iguane. Ce dernier présentait des troubles du comportement qu'il était évidemment difficile de soigner. Mais, affirmait toute la famille, le passage régulier de la médecin lui faisait du bien. Pour finir, les deux femmes avaient rendu visite à un membre de la famille de l'Araignée qui présentait une maladie très étrange assez similaire à la sclérose en plaque. L'homme d'âge moyen perdait petit à petit toutes ses fonctions motrices. Il arrivait encore à se déplacer, malgré la lenteur de ses mouvements, mais cela se dégradait de jour en jour, lui avait expliqué Talia. Il ne pourrait bientôt plus espérer être autonome. Victoire se demanda comment s'en sortait la médecin avec cette charge pondérale de travail. Comment pouvait-elle faire tout cela toute seule. Celle-ci devait sans doute se montrer très organisée, surtout qu'il fallait savoir que sa présence pour certains de ses patients se révélait vitale. Talia lui avait expliqué qu'un vieux médecin, le Chef de la famille de la Tortue, qui avait été son tuteur autrefois, l'aidait de temps en temps dans son travail. Mais il se révélait maintenant trop vieux pour exercer réellement la profession. De plus, ce n'est que récemment que Talia se retrouvait seule, puisque Tessa, de la famille de l'Ours, travaillait d'ordinaire avec elle. Son accouchement très récent l'avait forcée à arrêter d'exercer pour un moment. En temps normal, elle travaillait aux côtés de Talia, la suppléant comme le faisait aujourd'hui Victoire. Cette dernière avait été très surprise d'apprendre que sa sœur d'accueil était elle aussi médecin. Peut-être que cet intérêt commun pour la santé et pour le fait de prendre soin des gens pourrait les rapprocher, ou du moins leur permettre d'entretenir une relation cordiale. Même si Victoire se sentait exténuée après cette journée qui lui avait paru à la fois très courte et très chargée, elle prit le temps de passer voir ce qui se passait au bateau. Son corps lourd et fatigué la mena jusqu'à la plage. De toute évidence, bouger de maison en maison pour aller rendre visite à chaque patient semblait bien plus physique qu'écouter un cours assis. Victoire marcha à travers la brande. La mangrove épaisse et prolifère se faisait moins abondante à mesure que la jeune fille s'approchait de la plage. Les rayons du soleil qui lui parvinrent à travers quelques palétuviers et la matière molle qui commençait à se faire sous ses pieds indiquèrent à Victoire qu'elle n'était plus très loin. Le soleil était à son nadir, Paul et Liam seraient sans doute déjà rentrés en pensant qu'elle ne viendrait pas. Une fois arrivée à l'embarcation, Victoire fut fière de contempler l'épatant travail qu'ils avaient réalisé jusqu'à maintenant. Cependant son attention se focalisa rapidement sur ce qu'il se passait en second plan du bateau. Derrière, plus loin sur la plage, se trouvaient des individus là où il n'y en avait d'ordinaire jamais. Hormis quelques pêcheurs, qui venaient parfois pêcher dans la mer à des points stratégiques, on voyait rarement qui que ce soit sur la côte. Or, en ce moment même, à une centaine de mètres vers la droite en contrebas, se trouvaient des hommes. Mais il y avait une chose plus étonnante encore. Les hommes ne paraissaient pas venir de l'intérieur de l'île : de la forêt ou du village, mais de l'extérieur. Victoire remarqua une embarcation derrière eux. Ils semblaient attendre. Attendre quoi ? Ou bien, attendre qui ? L'embarcation était à première vue une sorte de yacht tout ce qu'il y a de plus sophistiqué. Rien à voir avec l'esquif qu'ils essayaient à trois de construire. Le corps de Victoire fut tiraillé par l'indécision. Il fallait qu'elle aille voir de plus près, qu'elle aille même aborder ces individus. Ils représentaient une chance de quitter l'île. Et pourtant... elle ne le sentait pas. Victoire fut surprise de voir que quelqu'un les rejoignait. Quelqu'un qui venait de l'intérieur de l'île. Un camarade qui était parti en repérage ? Non ce n'était pas un acolyte. L'homme avait l'apparence d'un tahut. Et même de loin, il fut impossible pour Victoire de ne pas le reconnaître. Ce n'était pas n'importe quel tahut. C'était le Chef, drapé dans son espèce de toge. Il était reconnaissable parmi mille autres. Victoire vécut sincèrement cela comme une trahison. Finalement, il n'avait pas si peu de contact avec l'extérieur. Encore une fois, elle hésita à ne pas aller à la rencontre des hommes blancs et du Chef. Mais un pressentiment l'empêcha d'agir. Elle resta tapie dans les frondaisons, à la frontière de la forêt et de la plage. L'entretien entre le Chef et les hommes de l'extérieur fut bref. Victoire observa Ghoudra leur remettre une petite poche et les hommes de l'extérieur retournèrent d'où ils venaient : l'extérieur. Ils rentrèrent dans leur bateau, et ce fut comme s'ils n'étaient jamais venus. Le Chef s'en retourna alors vers l'intérieur de l'île. Victoire n'attendit pas pour réagir. Elle vint à la rencontre du Chef, qui ne se doutait pas de sa présence, avec impulsion. Elle ne réfléchit pas non plus quand il s'agit de parler. Elle choisit la première langue qui lui venait à la bouche. Ce ne fut pas le français puisque la suite de phones aurait été incompréhensible pour le Chef, mais l'anglais qu'elle maitrisait parfaitement.

-Alors comme ça il n'y a aucun moyen pour que je quitte cette île, vous n'avez pas de contact avec l'extérieur ? Quand avez-vous commencé à mentir Ghoudra, je croyais que les tahuts étaient justes et honnêtes ?

Pour la première fois, le visage du Chef ne fut pas paisible et transparent. Il affichait une surprise manifeste, et on sentait son malaise.

- Ce que tu penses, ce n'est pas, Victoire. Plus compliquées qu'elle paraisse, les choses sont.

-Comment ça elles sont compliquées ? Moi et Paul aurions pu repartir sur ce bateau, mais vous n'avez rien fait pour, dit Victoire avec rage.

-Non, pas pu vous n'auriez. Pas laissé faire je ne l'aurais. Tu comprends, ces personnes que tu as vues, des gens biens ne sont pas.

-C'est ce que vous dites à chaque fois. Mais ouvrez les yeux, le monde de l'extérieur n'est pas uniquement peuplé de mauvaises personnes !

-Ecoute Victoire, quasiment nuit il fait. Rentrer chez toi et te reposer tu devrais, nous en reparlerons demain.

- Non, nous n'en reparlerons pas demain. Vous allez éviter le sujet et ce sera comme s'il ne s'était rien passé.

-Je te promets que non.

Le Chef posa une main sur l'épaule de la jeune femme. Il chercha à partager un regard de connivence mutuelle, mais Victoire refusa de croiser ses yeux. Elle avait trop mal au cœur. Et dire qu'elle aurait pu partir avec Paul et qu'il n'en était rien. Elle laissa le Chef partir sans mot. Mais ça n'en resterait pas là. Elle retournerait le voir et elle l'obligerait à trouver une solution pour quitter ces lieux. 

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now