Chapitre 27

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-Et puis merde, dit Victoire en glissant de la branche et en s'y raccrochant de justesse.

-Eh merrrrrrde...

-Qu'est-ce que tu veux toi ? Tu me nargues ? demanda-t-elle avec agressivité, agacée par sa maladresse.

-Touaaaaaaa

Victoire descendit de l'arbre avec les quelques fruits qu'elle avait pu ramasser, prenant garde à ne pas glisser. L'oiseau, qui avant qu'elle n'entreprît de redescendre était posé sur la branche en face d'elle, baissa son nez coronoïde pour la regarder atteindre agilement le sol. Dans ses yeux brillait un regard ingénu.

-Touaaaaaaa, continua-t-il en venant se poser cette fois-ci sur le sol.

- Tu ne vas donc pas te taire ? Je préférerais t'entendre chanter que faire le perroquet.

-...roquet, roquet, t'entendre chanter perroquet...

L'oiseau ne cessait de répéter après elle, si tant est qu'elle finit par s'énerver. Elle aurait voulu déjeuner tranquillement. Elle aurait préféré un tête-à-tête avec Paul qu'avec cette espèce de mainate qui la rendait hystérique. Mais son ami, grand sportif, préférait lui jouer au rugby avec ses collègues bâtisseurs. Elle n'était pas certaine que son énervement n'ait pas commencé au moment où il lui avait annoncé cela. Comme c'était un être de la gent masculine, il n'avait pas discerné son désappointement quand elle avait dit que ça ne la dérangeait pas de manger seule pour une fois. Il était reparti tout heureux, aussi vite qu'il était arrivé.

-roquet, roquet...

-Tais-toi, shut up, go see elsewhere if I am there.

C'est ce que l'oiseau fit en voyant Maurice accourir vers lui avec son regard malicieux. Ce fut au tour de Victoire d'être surprise quand Makao arriva soudainement derrière elle. Sortant de nulle part, il lui toucha l'épaule et récita le petit couplet qu'on prononçait dans ce genre de situation et qui remplaçait le « hou » qu'elle connaissait. Pour traduire littéralement, cela voulait dire « se fait manger ». Mais c'était ce que les tahuts disaient dans ce genre de contexte : quand ils voulaient faire peur à quelqu'un. Victoire l'avait appris avec les enfants lorsqu'ils jouaient gaiement dans le village. Elle n'avait pas tout de suite compris pourquoi ils répétaient « se faire manger ». Mais elle avait rapidement réalisé que comme en français et en anglais, et dans toutes les langues d'ailleurs, certaines choses n'ont de sens que dans leur contexte. En Chinois, on dit « As-tu bien mangé ? » et en français « Ca va ? », mais peu importe la forme, les deux expressions cherchent à savoir comment son interlocuteur se sent. C'était la même chose avec cette expression, on avait collé ces mots à ce genre de situation. Et plus personne ne réfléchissait au sens littéral qu'avaient les mots. C'était le plus dur à apprendre en tahut s'était faite la réflexion Victoire. Mais heureusement pour elle, quand Makao la surprit en lui glissant « se fait manger » au creux de l'oreille, elle ne fut pas trop abasourdie. Seule son apparition imprévisible la déboussola. Elle sentit soudain son pouls s'accélérer et se retourna frénétiquement.

-Makao, tu m'as causé une frayeur, s'exclama-t-elle.

Il parut s'amuser de sa farce. Il devait avoir cinquante ans, et pourtant c'était un grand enfant. Elle avait tout de suite apprécié ce trait de caractère chez l'homme. Déjà quand elle soignait ses brûlures, il lui inspirait une grande sympathie. Cela faisait longtemps qu'elle ne l'avait pas revu. Depuis la fin de ses soins en réalité. Elle avait eu l'occasion de l'apercevoir lors de la cérémonie de grand-père Iguane, mais ils n'avaient pas discuté. Ils s'étaient seulement salués lointainement. Il lui sembla qu'il avait senti sa détresse à ce moment-là. C'était juste après l'épisode avec les bannis. Elle n'était pas restée longtemps. Elle avait écouté quelques discours par respect et s'était éclipsée quand la cérémonie avait pris le tournant des festivités. Ca s'était passé il y a quelques jours seulement, et pourtant ça paraissait faire des semaines.

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now