Chapitre 8

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Il régnait sur Tahuta une ambiance festive. Tout le monde s'attelait au travail, mais personne n'exerçait ses fonctions habituelles. Les maisons étaient grandes ouvertes, et les familles se mélangeaient plus que d'ordinaire. A côté, la grand-mère Liève confectionnait des brochettes de fruits. Ses petits enfants, sans doute âgés de seize ou dix-sept ans, étaient venus l'aider à la mise en place de la fête. Chacun semblait impatient de fêter le retour des beaux jours, de la chasse, de la période de reproduction animale. Il était étrange pour Victoire de se dire que le mois de septembre touchait à sa fin et que pourtant, ici, l'été commençait tout juste à pointer le bout de son nez. D'après ce qu'elle avait compris en cours, pour les tahuts il n'y avait que deux saisons. Celles-ci correspondaient à l'été et à l'hiver. Pour ce qui était du printemps et de l'automne, ils n'avaient pas de réalité pour eux, car on ne percevait pas de changements thermiques et physiques assez importants pour qu'ils en aient une. Ainsi, c'est la fin de l'hiver que fêtaient ce jour-là les tahuts. Victoire se souvint alors qu'il y a tout juste un an, elle arrivait en Australie, dans la campagne de Canberra.

-Ma, tu as besoin d'aide ?

-Oui, viens ici.

Victoire s'approcha. Ma Roana, entourée du travail qu'elle menait depuis plusieurs jours, lui tendit un vêtement.

-Enfile ça ma fille, ce n'est pas tous les jours que nous fêtons l'arrivée de l'été, tu dois donner bonne image à la famille de l'Ours.

Victoire déplia le vêtement. Celui-ci, léger, avait plus de superficie que ce qu'elle portait quotidiennement. Elle mit un temps avant de comprendre comment le porter. La robe lui tombait jusqu'au pied, elle se laçait dans le dos. Il y avait trois lacets à différents niveaux du dos puis la robe tombait à partir du coccyx. Victoire était loin d'avoir la morphologie callipyge des femmes de l'île, ce qui faisait que la robe lui était plus ample qu'escompté.

-Bon, je vais la réajuster un peu, pensa tout haut Ma Roana. La robe appartenait à Mohea, avoua-t-elle. Mais cela fait plusieurs années qu'elle n'est plus à sa taille.

-Est-ce que Tessa, Mohea et Fetnat seront là ce soir ?

- Oui, ainsi que leurs enfants et leurs maris. Tu pourras voir le petit Thaïs qui vient de naître. Et puis Dario et Keanu, les enfants de Mohea et Fetnat.

Victoire n'était pas ravie. Elle n'aimait pas vraiment les filles de Ma Roana. Elle les soupçonnait d'être jalouses d'elle et de l'attention toute particulière que lui portait Ma Roana. Après avoir reçu la mission d'aller cueillir quelques fruits pour accompagner à la cuisson le phasianidé que Liam était parti chasser, Victoire quitta la maison. Elle choisit le chemin le plus long pour pouvoir passer à travers le village et observer les préparatifs. Là-bas, l'excitation était à son paroxysme. La famille du Lièvre et la sienne, celle de l'Ours, étaient un peu excentrées, et l'animation ne prenait pas une telle ampleur. Ici, les gens qui oscillaient de façon régulière en temps normal, se déplaçaient dans tous les sens. On déposait des guirlandes, confectionnait des lampions, achevait les derniers ajustements des tenues de soirée, on riait, parlait à ses voisins. Elle surprit deux enfants de la famille de la Tortue en train de fabriquer des décorations. Deux autres enfants, l'un de la famille de l'Iguane, et l'autre de la Buse vinrent les rejoindre avec une multitude de feuilles d'arbre. Plus loin, des femmes et des hommes revenaient avec de gros fruits à coques. Victoire suivit leur trace en sens inverse. Elle passa devant un homme qui jouait d'un petit instrument à vent. La flûte chantait une mélodie qui se voulait joyeuse et qui attira quelques personnes qui s'accordèrent une pause. Victoire continua sa route en espérant croiser Paul, mais elle ne le vit nulle part et ne passait pas à côté de sa maison. Elle vit cependant Maurice. Dés qu'elle eût quitté l'agitation du village, elle sentit le petit animal sur ses pas. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour trouver des fruits. Ceux-ci poussaient à profusion sur l'île. Elle se sentit bête de ne pas avoir pensé à prendre un panier. Surtout que Ma Roana en confectionnait elle-même. Victoire décida de monter dans un arbre à l'instar de Maurice. Elle s'accrocha aux branches et varappa avec précaution au milieu d'un grand sapotillier dans le but de récupérer les fruits inaccessibles d'en bas. Elle avait envie de faire plaisir à Ma Roana. Celle-ci était tellement merveilleuse avec elle, Victoire aurait voulu lui rendre la pareille. Mais qu'avait-elle à lui offrir ? Victoire descendit de l'arbre avec plus de prudence qu'à l'aller, se servant d'un bras pour s'accrocher et de l'autre pour tenir les fruits. Lorsqu'elle fut en bas, elle remarqua qu'elle n'était pas la seule à faire la cueillette. A proximité, les petits-fils Lièvre traînaient eux aussi au niveau des arbres fruitiers. L'un était monté en haut de l'arbre et lançait les fruits à son frère qui les réceptionnait en bas. Victoire les observa quelques minutes. Elle nota leur habilité et leur complicité dans cette tâche. Ils avaient rempli trois paniers, sûrement confectionnés par Ma Roana, de gros fruits rouges et de plus petits jaunes qui ressemblaient à des citrons. Ils s'apprêtaient à rentrer et passèrent même devant Victoire qui choisit d'emprunter ce même chemin pour rejoindre la maison. Elle fut un peu gênée de marcher ainsi sur leur pas, mais chargée comme elle l'était, elle ne pouvait se permettre aucun détour. Les deux garçons rigolaient, et quand ils parlaient, c'était à un rythme trop rapide pour que Victoire puisse comprendre quoi que ce soit. Au bout d'un moment, ils s'aperçurent de la présence de Victoire derrière eux alors qu'elle fit tomber un fruit. Leur air, d'abord empreint de surprise, se fit curieux et ils ralentirent l'allure pour que Victoire arrivât finalement à leur niveau.

Tahuta, le secret d'une îleWhere stories live. Discover now