Chapitre 38

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Les jours passèrent différemment. Ce n'était plus les nuits qui passaient que Victoire s'était mise à compter, mais les phases d'avancement du bateau. Il avait beaucoup plu ces derniers temps, et pourtant les tahuts ne se laissaient pas perturber par le temps. Ils avaient suivi le même rythme depuis le début et travaillaient donc ardemment malgré les gouttes qui venaient les alourdir. Chaque jour on pouvait voir l'évolution physique de l'embarcation. Victoire avait néanmoins eu quelques frayeurs alors qu'en plein après-midi, un orage avait éclaté. Il avait duré toute la nuit qui avait suivi. Elle avait écouté sans trouver le sommeil les grondements de protestation du ciel qui viendraient peut-être retarder son espoir de départ. Après tout, le bateau restait au milieu de la place, vulnérable. Elle s'était imaginée le retrouver en morceaux, comme le précédent. Une désillusion de plus. Quand le lendemain elle l'avait trouvé en bon état, les bâtisseurs déjà affairés, un sentiment de soulagement l'avait envahie. Ainsi, elle avait souvent observé les bâtisseurs travailler et discuté très régulièrement avec Nell, à défaut de partager avec Liam ses inquiétudes et son quotidien. Rapidement, elle s'était mise à douter, à se demander s'il avait toujours le projet de la suivre, ou s'il allait l'abandonner à son sort. Evidemment, tout aurait été plus simple si elle n'avait pas l'angoisse de traverser seule le pacifique. Elle aurait voulu ne pas avoir à compter sur lui, mais ce n'était pas comme si elle avait le choix. Outre le fait de se demander ce qu'il en était de leur projet commun, Victoire se demandait où ils en étaient dans leur relation. Ils n'avaient jusque-là pas posé de mots sur ce qu'ils représentaient l'un pour l'autre. Même plus ouvert, Liam restait cet homme mystérieux aux mille facettes. Quel était donc son état d'esprit ? Elle s'était fait la promesse de ne pas faire dépendre ses émotions de lui, de rester libre avant tout, car ici encore plus qu'ailleurs, elle ne savait ce qu'il pouvait se passer. Mais elle ne pouvait s'empêcher de penser à lui, à ce qu'il faisait, aux choses auxquelles il réfléchissait. A défaut d'avoir de vraies réponses, elle avait dû s'imaginer. Ce jour-là, en observant Vénus apparaître, Victoire se dit qu'une journée de plus sur l'île s'achevait. Ces jours se compteraient normalement à présent sur les doigts des mains. Et ils se ressembleraient sûrement, à l'exception que plus son départ se faisait ressentir, et plus les individus qui remplissaient son quotidien se montraient bienveillants avec elle. C'était comme si leur gentillesse croissait parallèlement à l'avancée du bateau. Tout le monde savait, mais personne ne lui en parlait. Ils se contentaient d'observer l'embarcation grandir et prendre forme. Tous savaient ce que cela signifiait. Victoire en revanche était ignorante sur les modalités de son départ. Elle ne savait si, quand tout serait terminé, elle devrait attendre l'assertion du Chef, si elle partirait avec un simple au revoir, ou bien si chacun lui exprimerait son sentiment. Dans tous les cas, rien de ce qu'elle s'était imaginée ne correspondrait réellement à la réalité. 

Tahuta, le secret d'une îleOnde histórias criam vida. Descubra agora